Nous étions
quarante-huit personnes à participer à ce café philo, le vendredi 31 janvier
2014, au centre culturel de Bouffémont, sur le thème
: «La vulnérabilité est-elle signe
d’humanité ? » Jeannine Dion-Guérin a lu un de ses poèmes reproduit
plus loin.
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Contribution de
Catherine Delaunay
D'ordinaire on déplore la vulnérabilité, surtout dans nos
sociétés où il faut être fort, performant pour réussir. La vulnérabilité serait
plutôt un défaut.
Paradoxalement dans le sujet tel qu'il est formulé, la
vulnérabilité semble plutôt réhabilitée, voire valorisée puisqu'on en fait le
signe de notre humanité. Ce qui serait humain au plus haut point ce serait
curieusement notre faiblesse. Autrement dit, ce qui ferait notre force d'être
humain ce serait notre faiblesse. On voit que c'est assez paradoxal.
Ce sujet inclinerait vers un traitement psychologique, moral,
spirituel, pourtant j'ai éprouvé le désir de donner d'abord de mettre en avant
la dimension politique. Pourquoi ?
D'abord parce que dans l'histoire de nos sociétés et dans les
faits, pendant des siècles on a surtout loué la force, la violence et même la
puissance et la guerre tandis qu'on dénigrait la vulnérabilité parce qu'elle
avait quelque chose de dégradant et d'humiliant.
1- Voyons d'abord comment l'histoire donne à voir la force
des forts et le mépris des faibles. Dans le passé des sociétés antiques puis
féodales, il aurait paru absurde, insensé voire incongru de considérer la
faiblesse comme signe d'humanité. Par exemple dans tous les traités de droit de
ces époques on s'appuie sur des principes comme « le droit du plus fort », « la
loi du Talion », «le droit de vengeance », « le droit de domination », « de
conquête », « d'esclavage » dans l'antiquité, ou de « servage » au Moyen Age, «
droit d'occupation des terres » ou «
droit de déclarer la guerre ». Tous ces principes allaient de soi, la force
faisait droit. Il semblait naturel que des minorités de puissants asservissent
les peuples. Les empires, les tyrannies, les oligarchies, les systèmes
aristocratiques et monarchiques étaient la règle. La démocratie athénienne fut
une des rares exceptions de cette époque.
Et probablement la force des forts, des tyrans, des princes
était enviée et enviable, ce n'est donc pas étonnant si quelques penseurs ont
pu justifier dans les idées ces faits par des arguments. Ce sont par exemple
les sophistes qui au 5 et 4ème siècle avant JC, eux qui se targuaient
d'enseigner la sagesse aux futurs hommes politiques grecs, démontraient qu'il
était dans la nature des choses que les forts écrasent les faibles. Le modèle
animal ne nous enseigne-t-il pas que les gros poissons mangent les petits ?
Pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'homme ?
Au 16ème siècle un philosophe comme Machiavel explique que la
fin justifie tous les moyens, y compris
les plus cruels, et le Prince se fait renard comme lion, c'est à dire qu'il use
de la ruse et de la force coute que coute pour se maintenir au pouvoir.
Au 17ème Hobbes, philosophe anglais, justifie de la même
manière l'absolutisme. L'homme est un loup pour l'homme et donc les êtres
humains recherchent avant tout leur conservation, leur sécurité car ils se
craignent les uns les autres et sont donc prêts à se soumettre au régime le
plus autoritaire et le plus puissant pour se sentir protégés quitte à aliéner
leur liberté. Donc dans le passé le plus lointain et pendant longtemps la force
était reine.
2-Pourtant très tôt et simultanément des voix s’élèvent dans
la littérature et la philosophie pour affirmer que la force des forts est elle
même vulnérable et condamnée à se détruire, tandis que la faiblesse des faibles
peut être reconnue comme une valeur et éveiller une certaine compassion.
Par exemple Jacqueline Romilly, qui a beaucoup travaillé sur
la Grèce, remarque que déjà dans l'Iliade et l'Odyssée, qui date probablement
du 7ème siècle avant JC Homère note l'idée que la vulnérabilité peut inspirer
la pitié. Achille vient de tuer Hector ; le vieux roi Priam vient demander le
corps d' Hector, son fils, Achille accepte, fait laver le corps du défunt et
demande que la bataille soit suspendue le temps que le roi ramène le corps de
son fils à Troie.
De même rappelle De Romilly, les Tragiques grecs ont été
sensibles au dénuement de l’homme, Sophocle fait dire à Œdipe (dans la pièce
Œdipe à Colone) au vers 393, « c'est
quand je ne suis plus rien que je deviens un homme ». Pourquoi ? Parce que
quand on est démuni de tout, on est réduit à l'essentiel, on se définit alors
non plus par ses rôles, ses possessions, ses statuts mais par son âme, par son
cœur, et c'est là le plus important, c'est ce qui constitue notre humanité.
Socrate au 5ème siècle avant JC évoque souvent le conflit
entre la force et la faiblesse et contre les sophistes il prend le parti de la
faiblesse avec plusieurs arguments;
-la force n'est jamais assurée de triompher, et de durer.
Viendra toujours un plus fort pour balayer le premier, donc la force est condamnée
à périr.
-la force prise dans un engrenage, conduit à un certain
dérèglement. Le tyran devient l'esclave de ses passions, ses désirs. Il veut
toujours plus, toujours plus conquérir de terres et c'est ainsi que les
royaumes les plus puissants s'effondrent et se désagrègent. Que ce soit
Napoléon ou Hitler, ils illustrent assez bien le propos de Socrate dans des
temps plus proches.
-L'homme ne peut être comparé à l'animal comme le croyaient
les sophistes. Si l'animal va aussi loin que ses forces le poussent, l'homme au
contraire, et c'est son honneur, est capable de résister à l'attrait de la
force et c'est cet honneur qui définit l'humanité selon Socrate.
-Enfin les forts ont besoin des faibles pour assurer leur
domination. Par exemple les hommes libres d'Athènes qui ne voulaient pas
travailler avaient besoin d’esclaves. Les forts deviennent dépendants des
faibles. Plus tard Hegel dans sa « dialectique du maitre et de l'esclave », montrera
que c'est cette dépendance qui entraine nécessairement un renversement le jour
où les faibles par leur travail prennent les commandes d'une société qui n'a
plus besoin des forts. Les maitres deviennent les esclaves des anciens
esclaves. Les esclaves deviennent les maitres. Marx retiendra la leçon dans le
concept de lutte des classes quand il imaginera qu'un jour le prolétariat
pourra remplacer la bourgeoisie.
3-Ainsi l'histoire peut s'inverser et il n'est donc pas
étonnant que progressivement l'histoire ait mis en marche la force des faibles.
Les faibles, les vulnérables, les opprimés, les miséreux pourraient prendre le
pouvoir et devenir un modèle d'humanité. On pourrait dire que la force des
faibles aujourd'hui s'est imposée partiellement dans l'histoire selon
différents modes. Premièrement les faibles ont la force du nombre, les masses,
les peuples, les majorités silencieuses, l'union fait la force, Marx dira au
début du communisme, « Prolétaires de tous les pays unissez vous » et c'est
ainsi que les révolutions peuvent se produire
Deuxièmement ils ont la force psychologique, ils sont
contraints de se battre pour exister ; les vulnérables inspirent pitié, ils
suscitent des sauveurs, de l'empathie, de la compassion, ils n'éveillent pas le
soupçon, ils n'éveillent pas la peur, on ne les craint pas, au contraire ils rassurent,
ils peuvent agir avec une certaine marge de manœuvre.
Troisièmement, surtout ils ont la force légale, la loi, le
droit pour eux, la Justice est la force des faibles. Le Suffrage Universel est
leur revendication. Ils revendiquent le partage du pouvoir. Voilà pourquoi un
auteur comme Nietzsche a accusé la démocratie d'être par excellence le régime
des faibles puisque c'est un régime qui donne la parole à tous, y compris aux
plus petits, un homme une voix.
- Ils représentent la force morale, la force d'âme, le
courage, la force de l'effort, de la volonté, de la pensée et du discours. Ils
sont considérés comme étant du côté du bien, les forts seraient du côté du mal
parce qu'on les culpabilise.
Enfin ils incarnent la force spirituelle ; la plupart des
religions prennent le parti des faibles, des pauvres. C'est le cas du
bouddhisme, de l'Islam, du Christianisme avec le fameux texte des béatitudes :
« heureux les affamés, le royaume de Dieu leur appartient ».
Le comble dans cette religion c'est que Dieu est venu dans
l'humilité, la pauvreté, à travers un enfant, dans une crèche ; Saint Paul dira
« lorsque je suis faible c'est lorsque je suis fort » (Épître 2, Corinthiens
12,10).
4-Aujourd'hui, que penser de cette idée ? Elle est dans
l'air du temps, de nombreux livres ont paru sur ce thème. Pour terminer je
voudrais revenir sur la définition de la vulnérabilité, du concept d'humanité
et m'interroger sur les risques qu'on court à trop légitimer la vulnérabilité.
Le mot vulnérabilité vient du latin vulnus, Vulnéris, quelqu’un de vulnérable
c'est quelqu'un qui peut être blessé physiquement ou moralement. De même
fragile vient du latin fragilis, qui peut se casser, se briser (fracture,
fragmenter). Au fond la vulnérabilité c'est la possibilité de notre blessure
physique ou morale. On peut distinguer différentes formes de vulnérabilité ;
individuelle ou collective. Dans la vulnérabilité collective j'évoquerais en
outre le sort d'un certain nombre de pays comme la Somalie, le Tchad, la RDC ;
ou encore les castes en Indes, ou chez nous le problème des « invisibles », une
nouvelle catégorie. Pierre Rosanvallon, vient d'écrire « le Parlement des
invisibles », où il décrit la situation de ceux qui ne se sentent pas
entendus, qui n'existent pas pour les autres, comme si leur vie ne comptait
pas.
A côté de cette distinction, j'en ferais une autre : la
vulnérabilité conjoncturelle et réversible, et ontologique ou métaphysique. La
première est liée à une situation et peut être modifiée. Elle peut être
biologique, par exemple quand Alexandre Jollien, atteint comme infirme moteur
cérébral, ne peut pas marcher correctement, il dut lutter beaucoup pour être
reconnu comme un homme à part entière, alors que son cerveau lui donnait une
intelligence normale. C'est aussi une vulnérabilité psychologique, celui qui
fait une dépression. Sur le plan économique par exemple le chômage est une
vulnérabilité. Sur le plan politique, être un migrant.
A côté je pense qu'il existe une vulnérabilité universelle,
métaphysique, ontologique : en tant qu'êtres humains, nous sommes vulnérables.
Nous sommes tous destinés à mourir. Cette vulnérabilité nous la partageons avec
le monde du vivant, sauf que nous, nous pouvons être conscients de cette
vulnérabilité et nous, nous pouvons faire quelque chose de cette vulnérabilité.
Quant au mot humanité ici, notre humanité c'est ce qui fait
notre essence d'être humain, ce qui nous différencie de l'animal. C'est ce qui
fait notre dignité. Ce qui fait notre dignité c'est notre grandeur, notre
noblesse, notre valeur. Mais en quoi réside cette noblesse. Pascal disait « il
y a en l'homme quelque chose qui passe l'homme », l'homme n'est pas qu'un être
biologique, il vit au niveau de la conscience, de l'esprit, de la pensée, c'est
pourquoi il ajoute « toute notre dignité
consiste donc dans la pensée ». C'est la dernière chose qui nous reste quand on
n'a plus rien, on peut nous retirer la vie mais au dessus de notre vie il y a
la dignité. La preuve c'est que certains peuvent risquer leur vie pour leur
dignité ou des idées. Pour Pascal la dignité c'est plus profondément une
parcelle de divinité, un lien impalpable avec l'absolu, l'infini qui se
manifeste plus encore que dans la
pensée, dans l'ordre du cœur, de la charité, l'amour, de l'amour au sens de
Agapè.
Pour Kant il y a quelque chose qui est sans prix, au delà de
tout prix (on ne peut pas le monnayer, l'échanger contre de l'argent) mais
aussi parce que cela donne du prix à tout le reste.
Ce quelque chose n'est autre que la raison, la volonté
capable de liberté, c'est cela qui est le plus précieux et qui fait notre
dignité, c'est l'étalon suprême selon Kant.
Pour Lévinas, un auteur contemporain, la dignité de l'homme
ne se fonde ni sur la pensée selon Pascal ni sur la raison et la volonté libre de Kant, mais sur la vulnérabilité,
c'est l'une de ses thèses, dans « Humanisme de l'autre homme » il reproche
justement aux philosophes de ne pas avoir perçu cette dimension qui affleure
dans la sensibilité : dans la sensibilité on se met à découvert, on s'expose,
on est offert en pâture, et à qui donc ? A l'autre, à autrui, nous sommes
livrés sans défenses au bon vouloir de nos semblables. La vulnérabilité
introduit donc au rapport avec autrui.
C'est vrai que ce que nous sommes, nous valons, dépendent
largement du regard, de l'écoute d'autrui qui peut reconnaître notre
singularité, notre dignité ou la refuser. Et c'est une violence extrême qui
s'abat en particulier sur notre visage, poursuit Lévinas car c'est le lieu de
la rencontre avec autrui.
Un article d'Amélie Nothomb qui parle de la fragilité va dans
le même sens : «la fragilité est un refus de se défendre contre la violence. La
fragilité est un refus d'en découdre qui peut aller jusqu'à la destruction de
soi. Avec cette conscience que la destruction de soi acceptée sera toujours
moins violente que cette qui résulterait d'un combat.
Conclusion
Je voudrais dire que la vulnérabilité peut être signe
d'humanité mais à plusieurs conditions. En elle même la vulnérabilité n'est pas
signe d'humanité puisque le vivant est vulnérable. Il faut faire quelque chose
de cette vulnérabilité chez l'homme.
D'abord il faut qu'elle fasse tout pour se dépasser, se
sublimer on pourrait dire, dans le travail, dans l'art, dans la philosophie,
dans l'engagement
Deuxièmement, à condition qu'on se réapproprie cette
vulnérabilité, qu'elle ne soit pas simplement passive, qu'elle débouche sur une
action au profit des autres.
Troisièmement qu'elle ne soit pas exploitée, instrumentalisée
par les plus forts ;
et quatrièmement c'est vrai qu'elle constitue certainement
notre humanité si elle nous fait prendre conscience qu'être humain c'est être
capable d'assumer notre faiblesse et de résister à notre force comme le disait
Socrate.
Néanmoins j'émettrais quelques réserves : la vulnérabilité
n'est pas toujours signe d’humanité. Il y a des pertes, des catastrophes, qui
sont insurmontables. Il y a des blessures qui sont irréparables, la perte d'un
enfant par exemple. Ceux qui ont vécu la Shoah (Primo Levi, Antelme,
Bettelheim) qui montrent qu'il existe des fêlures, des fractures, qu'on ne peut
soulager. On ne peut l'accepter. Le danger serait de vouloir au nom de la
vulnérabilité, justifier même les épreuves les plus déshumanisantes que
l'humanité est capable de produire. Il faut donc manier ce concept avec prudence.
Danger aussi d'être trop complaisant avec la vulnérabilité et de ne pas vouloir
transformer la situation des plus faibles : illettrisme, le mal logement, la
pauvreté sont aujourd'hui des vulnérabilités qu'il faut absolument vouloir
soulager.
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Contribution de Pierre
Haller
1. Définition, de la vulnérabilité :
fragilité face à la maladie ou face à l’agression externe pouvant conduire aux
dysfonctionnements de gravité variable ou à la mort.
Etymologie :
du latin vulnerare, blesser, endommager, entamer, porter atteinte à, faire mal
à, froisser, offenser. La vulnérabilité est le caractère de ce qui est
vulnérable, fragile, précaire, de ce qui peut être attaqué, blessé, endommagé.
Le terme "vulnérabilité"
s'applique aussi bien à des personnes, à des groupes humains qu'à des objets ou
à des systèmes (entreprises, écosystèmes, etc.). La vulnérabilité est la
fragilité face à la maladie, à des infirmités, à des agressions extérieures, à
des évènements personnels (deuil, divorce, déception amoureuse, etc.),
sociaux-économiques (chômage, licenciement, crise économique, etc.), à des
événements naturels (tremblement de terre, éruption volcanique), à des aléas
climatiques.
La cindynique est la science des risques qui étudie la vulnérabilité d'un
individu, d’un groupe, d’une organisation, d’un élément bâti ou industriel,
d’une zone géographique. Patrick Lagadec est un spécialiste français de la
gestion de tels risques.
Le talon d’Achille est une métaphore de la vulnérabilité issue de la mythologie
grecque. La mère d'Achille, la nymphe Thétis, avait plongé Achille enfant dans
le fleuve Styx, le tenant par le talon. Il devint ainsi invulnérable partout où
l'eau avait été en contact avec sa peau, sauf au talon qui devint son point
faible. C'est là que toucha la flèche de Pâris qui tua Achille. Ce thème du
point faible est récurrent dans plusieurs mythologies (Siegfried, Soslan).
2. L’homme est un animal naturellement
plus vulnérable que beaucoup d’autres espèces. C’est un « singe nu ».
3. L’homme
partage avec les autres espèces animales des vulnérabilités naturelles : souffrance, maladie, handicap physiques,
inégalités dans les luttes pour le territoire, pour la nourriture, pour les
conjoints, pour le statut social, dans l’exposition aux violences, aux
exclusions sociales, aux aléas et catastrophes de la nature. Toutes les espèces
vivantes ont développé des stratégies adaptatives pour déjouer les
vulnérabilités : système immunitaire, réparation des blessures, protection
des nourrissons, vie en groupe, identité collective, « intelligence »
collective, défense du territoire, provisions et diversification de la nourriture.
4. L’homme
possède cependant des avantages qui parent
et transforment ses vulnérabilités : intelligence grâce à un cerveau
surdimensionné, capacité d’anticiper à long terme, omnivore, mains, outils,
technologie, institutions, culture. La culture humaine s’élabore et se transmet
grâce aux structures collectives et notamment à la longue durée d’apprentissage
de l’enfance au sein de la famille. Certaines vulnérabilités disparaissent, par
exemple l’homme n’a plus de prédateur naturel hormis lui-même et certains micro-organismes
(et encore !) ; il a les moyens médicaux de réduire la
souffrance ; les maladies infectieuses sont progressivement maitrisées.
Les maladies dégénérescentes précédant la mort, nécessaire à la vie de l’espèce,
restent invaincues, et le resteront probablement. Les outils humains contre les
vulnérabilités en créent de nouvelles. On
pourrait conjecturer que la somme des vulnérabilités est une constante. La
vulnérabilité est le moteur des processus adaptatifs et donc du progrès.
5. Les outils contre les vulnérabilités
humaines individuelles ou collectives sont :
Vulnérabilités climatiques : les vêtements, les habitats, la
consommation d’énergie, notamment l’usage du feu.
Vulnérabilité alimentaire : agriculture, élevage, diversité,
réserves, commerce, transports, hygiène alimentaire.
Vulnérabilité sécuritaire : codes de convivance, habitat, défense du territoire,
armée, police, administration, législation, Etat, diplomatie inter-Etats.
Vulnérabilité sanitaire : hygiène de vie, système
médico-pharmaceutique, services publics de l’eau, des déchets, de l’énergie,
organisation des secours, assurance maladie.
Vulnérabilité de la dignité de la personne : Etat providence
(care), Etat de droit, codes éthiques, codes religieux, éducation civique,
déontologie.
Vulnérabilité technologiques industrielles : normes de
conception de fabrication et d’exploitation des installations, sécurité au
travail, assurances.
Vulnérabilité face aux catastrophes naturelles : normes de
conception et de réalisation des ouvrages. Education. Plans Orsec. Assurances.
Vulnérabilité face au risque de guerre ou au retour à la
barbarie des individus et des sociétés : institutions internationales, police,
culture, éducation, déontologie, contrôle du contrôle.
6. Exemples toujours actuels de
vulnérabilités individuelles, collectives, naturelles, anthropologiques,
sociale ou technologiques.
+ En 2013, le nombre de
migrants internationaux a atteint les 232
millions dans le monde.
45.000 en 2013, c'est le nombre de migrants qui ont risqué
leur vie en Méditerranée pour rejoindre les rives italiennes et maltaises,
selon un bilan publié par l'Organisation internationale
des migrations (OIM) (dont pour l’Italie, 5.400 femmes, 8.300 mineurs dont 5.200
non accompagnés) 20.000 sont morts en mer dans les 20 dernières années.
Témoignage d’un instituteur : « J’ai vu la mère d’un élève dire en pleurant
devant son fils (un peu trop agité, mais jamais insolent) : « J’ai traversé le désert à pied pour que
tu ailles à l’école ».
+ Un réfugié est une personne qui se trouve hors
du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence
habituelle ; qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques. Le Haut Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés
estime que fin 2006, il y avait 8 661
994 réfugiés dans le monde.
+ La
mortalité néonatale est de
2000/100.000 naissances vivantes au Soudan et 8 pour la France et 2 pour
l’Estonie.
+ Infirmité, handicap. La population porteuse d’un
handicap s'élève à 9,6 millions de
personnes en France. En France, 15 à 25 millions de personnes vivent avec
une maladie chronique ou un handicap. On estime que 650 millions de personnes sont handicapées dans le monde. La
prévalence du handicap est estimée à 15% de la population mondiale.
+ Démence mondiale. Le
nombre de personnes souffrant de démence dans le monde a augmenté de 22 % au
cours des trois dernières années, atteignant 44 millions, d'après le rapport d'Alzheimer Disease
International, ce
nombre sera multiplié par trois d'ici à 2050. Quelque 135 millions de personnes seront ainsi atteintes de démence sur la
planète, dont 16 millions en Europe de l'Ouest.
+ Le nombre de Français souffrant d’une pathologie
mentale toucherait 12 millions
de personnes sur 69 millions. Les pathologies mentales coutent chaque année à
la France presque 110 milliards d’euros (On ne compte pas les folies de la
finance…). Parmi cette dépense totale, la prise en charge médicale coute 13,4
milliards d’euros soit 8% des dépenses nationales de santé.
+ 13 000 personnes se suicident chaque année en France, soit 36 suicides par jour.
+ Dans les prisons françaises
où sont enfermés 58 251 hommes et 2152 femmes, le taux de troubles
psychiatriques atteint 78,5% des hommes et 73,7% des femmes.
+ La Seconde Guerre mondiale est marquée par la mort de 40
000 malades et handicapés mentaux en France du fait que « ces bouches
inutiles » ne sont plus nourries. Ce qui traduit la fragilité de la
civilisation. On pourrait également revenir sur les multiples autres crimes
contre l’humanité de cette période qui traduisent la vulnérabilité non seulement des victimes mais aussi celle des vernis
éthiques de la civilisation. La culture a été incapable d’empêcher le
désastre de la civilisation notamment européenne et se réclamant chrétienne,
mais pas uniquement elle. Citation de Primo Levi (1919-1987), déporté italien : « Si je dois dire la vérité, des monstres, je n’en ai pas
rencontré, mais des fonctionnaires, oui. Ils se comportaient comme des
monstres. »
+ La maltraitance désigne des mauvais traitements avec
brutalité et rigueur infligés à des personnes souvent dépendantes et sans
défense. Elle concerne la maltraitance
sur mineur, le harcèlement
moral, la maltraitance des adultes, la violence
conjugale , la maltraitance des personnes âgées, les châtiments
corporels. Les
statistiques des maltraitances ordinaires, aujourd’hui et près de nous,
notamment sur les enfants, sont effarantes. Selon l’association L’enfant bleu, en France, aujourd’hui, quelque deux enfants meurent chaque jour suite à la
maltraitance infligée par des parents. Une femme meurt tous les deux jours suite à des violences conjugales.
+ Bien des individus utilisent le pouvoir que leur donnent
les institutions qui les emploient pour exercer une perversité narcissique ordinaire sur des personnes en situation de
vulnérabilité et sans défense : prisons, police, maisons de retraites,
institutions dites caritatives ou religieuses, milieu éducatif, hôpitaux,
armées, administration bureaucratique, monde du travail. La perversité consiste
souvent à rejeter une culpabilité ou la honte sur la personne vulnérable.
+ La honte dans son aspect social est illustrée dans le récent
roman « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard
Louis (21 ans).
Garçon efféminé, Eddy était la honte de sa famille et l’objet de mépris et de
dégoût dans tout son milieu rural et pauvre. Sa fuite de ce milieu l’a tout de
même conduit sur les bancs de l’ENS. La honte sociale vulnérabilise, mais
parfois aussi renforce, de nombreuses catégories de personnes ou leurs
proches : homosexuels, illettrés, minorités visibles, immigrés, certains
malades (MST, sida, maladies mentales, drogués), emprisonnés, déviants divers
des normes dominantes.
+ Le coût économique des
catastrophes naturelles et humaines en 2013, selon une estimation de
l'assureur Swiss Re à Zurich est de 130
milliards de dollars.
+ Les systèmes
économiques et financiers, comme le montre l’actualité, sont
fondamentalement vulnérables. Ils peuvent être victimes d’instabilités
systémiques dues à leur complexité ou aux terrains de jeux opaques qu’ils
offrent aux prédateurs de haut vol.
+ Les systèmes
technologiques les plus sûrs n’empêchent pas les risques de catastrophes et
d’accidents d’origines naturelles (inondations, séismes, tsunamis, avalanches, glissements
de terrains), d’origines humaines et technologiques (risques industriel,
nucléaire, biologique, ruptures de barrage, chutes d’avions, pollutions,...),
les risques de la vie courante (accidents domestiques, incendies, accident de
la circulation. Selon Le Monde, les accidents domestiques sont responsables de 18.500 morts par an en
France. Le nombre de tués dans des accidents de la route
par an en France est 3.645 en 2012 et 16.445 en 1970, ce qui indique que la
vulnérabilité d’une activité donnée est partiellement
mais significativement maitrisable.
7. Principes fondamentaux de réduction de
la vulnérabilité dans les œuvres humaines : diversité, redondance, structures
en réseaux, défense en profondeur, gestion de la complexité ou du chaos.
L’Ecclésiaste dans la Bible proposait déjà des principes de réduction des
vulnérabilités. 4.9 « Deux valent mieux
qu'un : car ils retireront un bon profit de leur labeur. » 4.10 « S'ils
tombent, l'un peut relever son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul ;
s'il tombe, il n'a pas de second pour le relever ». 4.11 « De même, si deux
sont couchés ensemble, ils ont chaud ; mais celui qui est seul, comment
aurait-il chaud ? » 4.12 « Et si un assaillant l'emporte sur un seul, deux lui
tiendront tête. Le cordon triple ne se rompt pas de sitôt ».
La diversité consiste
à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. La redondance consiste à avoir plusieurs cordes à son arc ou avoir
plusieurs moyens d’assurer la même fonction. Nos cinq sens et leurs interprétations,
comme la douleur ou la peur, sont complémentaires pour alerter des divers
dangers qui viennent de notre environnement. Nous sommes multi-sensoriels. Le
cerveau élabore la synthèse des informations contribuant à la sécurité par la synesthésie. Dans les installations industrielles, la multiplicité des
capteurs pour la mesure d’un paramètre
donné (température, pression, vitesse, etc.) assure la fiabilité des mesures.
La structure en réseau, comme
internet, fonctionne même lors d’une panne locale.
+ La défense en profondeur est une structure imbriquée des moyens de
défense à l’image des poupées russes. Le principe est mis en œuvre dans les
installations de haute technologie comme les centrales nucléaires où des
barrières successives diminuent mathématiquement et significativement les risques
d’accident de dispersion de produits radioactifs.
Ce principe des poupées russes est en fait à l’œuvre depuis
toujours dans la protection de l’individu contre les diverses vulnérabilités
dont il peut faire l’objet : système immunitaire, peau, vêtements,
habitat, famille, clan, communauté, Etat, nation, services public. Chacune de
ces couches de défense assure à sa manière la protection contre des vulnérabilités
spécifiques de l’individu. Ces systèmes comportent eux-mêmes des vulnérabilités
qui peuvent se retourner contre les personnes : maladies auto-immunes,
violences familiales, enfermement communautaire, violence d’Etat.
+ La gestion de la
complexité ou du chaos est l’art de prendre des décisions, si possibles justes, en l’absence de
vision complète d’une situation.
La gouvernance
et la résilience des
institutions (Etats, Europe, économie, entreprises, pouvoirs divers) relève de
l’organisation et des procédures mises en jeu. Le principe de subsidiarité consiste
à allouer la responsabilité d’une action à la plus petite entité capable de
résoudre le problème d'elle-même. Cela implique des interactions de niveaux hiérarchiques pyramidaux possédant
des identités et des degrés de liberté propres. Le rêve d’une gouvernance
mondiale est probablement une utopie qui comporte la grave menace de la
captation du pouvoir par des groupes d’intérêts particuliers et prédateurs,
comme le montre actuellement la mondialisation de l’économie et de la finance.
8. Force de la vulnérabilité, vulnérabilité de
la force.
+ Dans la fable de La Fontaine « le chêne et le roseau », le roseau plie mais ne rompt pas
tandis que le chêne est emporté par le vent.
+ La taille d’un
système est déterminante de sa vulnérabilité et donc de sa viabilité. Cette
taille est spécifique à chaque type de système vivant ou technologique. Etre trop grand ou trop petit est source de
vulnérabilité.
+ Les Etats cherchent souvent à contrôler les moyens de
communication voire à les interdire. Les réseaux satellitaires ou la simple
débrouille permettent souvent de contourner ces interdits.
+ Le christianisme a
intégré la vulnérabilité dans sa doctrine ; le Christ est né et mort dans le dénuement, les Béatitudes glorifient
les faibles. Les « Pietà », ou Vierge de Pitié, est un thème
artistique de l'iconographie de la peinture chrétienne représentant la Vierge
Marie pleurant son fils, le Christ, descendu mort de la Croix.
+ Les religions
contribuent à la fois à pacifier et à exacerber les conflits. Les persécutions religieuses sont
encore nombreuses dans le monde. L’instrumentalisation par des lectures
littérales de textes sacrés comme la Bible ou du Coran conduit aux exclusions
et aux guerres de religions. Par exemple, la malédiction de
Cham par Noé dans la Bible (« Qu’il
soit l’esclave des esclaves de ses frères », Genèse 9,25) a servi à
justifier l’esclavage des Noirs ou l’apartheid. Beaucoup (75 % ?) de
persécutés religieux seraient aujourd’hui des chrétiens notamment en Chine,
Corée du Nord et plusieurs pays musulmans. En 2013, il y a eu 2123 assassinats
de chrétiens dans le monde, dont 1213 en Syrie, selon Portesouvertes.fr.
+ La démocratie, qui
est le moins mauvais des systèmes politiques, selon W. Churchill
(1874-1965) est en fait astable et fragile. Tout pouvoir doit comporter une
part de vulnérabilité afin de le préserver de ses propres dérives. L’institution
censée protéger la personne, peut constituer une menace à sa liberté avec sa
tendance à chosifier les personnes. La démocratie reste le meilleur rempart
contre les dérives violentes que sont la dictature, l’anarchie ou la guerre
civile. Pensons notamment à l’actualité d’une partie du monde musulman. La vulnérabilité de l’individu profite
souvent à renforcer son groupe d’appartenance. Le système capitaliste a intérêt
à entretenir la précarité sociale.
+ La vérité est
vulnérable. Elle est tributaire des jeux de pouvoirs.
+Les modèles de pensée,
censés traduire la réalité et agir sur elle, sont toujours incomplets et
relèvent souvent d’injonctions contradictoires, par exemple : croissance
économique, emploi versus protection de la nature ou même liberté, égalité,
fraternité.
+ La beauté est vulnérable. N’est beau que ce qui est
vulnérable.
+ La bonté est vulnérable.
+ La poésie est vulnérable.
+ L’amour est vulnérable.
+ L’humanisme est vulnérable.
+ Les civilisations sont vulnérables.
+ Les vertus sont vulnérables à plusieurs titres : ceux
qui les pratiquent sont facilement attaquables, elles ne résistent souvent pas
à une situation de crise, enfin elles sont souvent instrumentalisées.
+ Les boucs émissaires dans les sociétés (tête de Turc dans
un groupe, minorités dans une société, personnages politiques ou institutions
dans un mouvement populiste) peuvent être considérés comme des fusibles, qui le
plus souvent servent à cacher les vrais problèmes. Ils constituent des
vulnérabilités tant pour les victimes que pour ceux qui les maltraitent.
+ Les fusibles sur les circuits électriques sont
des fragilités voulues destinées à protéger l’ensemble de l’installation.
+ La dissuasion
nucléaire : la destruction
mutuelle garantie, en anglais : MAD, pour Mutually Assured Destruction.
Elle nécessite deux partenaires à la fois vulnérables et invulnérables.
Vulnérables puisqu'ils peuvent mourir de l'agression d'un autre. Invulnérables
car ils ne mourront pas avant d'avoir fait mourir leur agresseur, ce dont ils
seront toujours capables quelle que soit la puissance de la frappe qui les fait
s'effondrer. La simple existence d'arsenaux nucléaires constituant une
structure de vulnérabilité mutuelle suffit, selon cette thèse, à rendre les
partenaires infiniment prudents.
+ Les infrastructures
et les populations des sociétés technologiques avancées (systèmes
ferroviaires, routiers, électriques, d’eau, de distribution alimentaire,
centrales nucléaires, télécommunications, etc.) sont éminemment vulnérables aux
attaques militaires, c’est probablement une des raisons pour lesquelles les
Etats avancés sont obligés d’éviter absolument tout conflit armé sur leur
territoire.
+ Le « dissident de Wall Street » Nassim Nicholas Taleb (né en 1960) auteur de « Le
Cygne noir » et « Antifragile » met en garde contre la fausse
sécurité des modèles mathématiques de gestion des risques financiers et développe les principes de prise de décision
en situation d'opacité stipulant qu’il vaut mieux savoir utiliser le chaos du
monde que prétendre l'organiser. Dans Le Monde du 18.12.2013, il déclare :
« Les
mathématiques scabreuses, qui sont utilisées dans ce dessein, n'ont pour seul
but que de vous impressionner. Nous sommes dans un monde de plus en plus
imprévisible et de plus en plus complexe. Et une certaine dose d'instabilité
joue in fine un rôle protecteur en permettant les évolutions. Viser
méthodiquement la stabilité peut, au contraire, aboutir à faire sauter un
système : cela est vrai en économie comme dans d'autres domaines.
L'architecture du
système doit être conçue ainsi : le rang social devrait être d'autant plus élevé
que l'on supporte le plus de risques pour soi-même. Le bon fonctionnement,
c'est le principe de responsabilité. L'Etat n'est pas là pour protéger les
puissants des conséquences de leurs erreurs. L'Etat doit être très fort pour
protéger les faibles, mais laisser les forts en compétition.
Les régulations
complexes ne marchent pas. »
+ La vulnérabilité
constitue le fonds de commerce d’un vaste ensemble d’activités économiques, fort
nécessaires, mais souvent détournées : assurances, médecine, sécurité, services
publics, travaux publics, communication, médias. Elle est souvent instrument de
pouvoir et donc aussi des dérives de celui-ci.
10. De nouvelles vulnérabilités pour l’homme
émergent des progrès des technologies et des organisations humaines : système
libéral (inégalités, pauvreté); instabilité politiques par la mondialisation,
guerres pour les ressources naturelles, migrations massives de populations,
faillites des Etats, faillites des religions, nouvelles maladies ou
recrudescence (perturbateurs endocriniens, démence sénile, cancers, maladies
mentales). Les NTI, les nouvelles technologies de l’information, dont la
puissance de calcul et de stockage de l’information double tous les 18 mois et
les flux tous les six mois, constituent une transformation anthropologique
majeure.
Elles sont essentiellement bâties autour de la toile, du cloud computing, des réseaux sociaux, du big data, des moteurs de recherche, de la mobilité et des milliards de objets connectés. Elles apportent certes des avantages immédiats à
l’humanité, sans quoi elles ne se développeraient pas, mais elles portent en
elles des menaces pour l’humain qu’il conviendrait de ne pas perdre de
vue : nivellement des cultures, perte de l’intimité, manipulation de
masse, dérive sécuritaires, etc. L’industrie des NTI est elle-même fragile car elle
demande des investissements considérables de sorte qu’elle engendre des
concentrations de pouvoir non moins considérables et des monstres tentaculaires,
aux pieds d’argile, comme Google, Microsoft, Apple, Facebook, les systèmes
financiers, ou certains services sécuritaires ou bureaucratiques des Etats.
+ La mondialisation amplifie deux facteurs de vulnérabilité
des systèmes économiques, politiques et sociaux : la compétition entre tous les acteurs et l’émergence de risques aléatoires dus aux interactions
multiples des acteurs. Le monde n’est pas déterministe, contrairement à ce que
pensait la science classique. Il ne s’agit plus seulement de stabiliser ou
d’optimiser les systèmes mais de savoir faire face aux crises inattendues.
11. Les voies et voix de l’éthique de la
vulnérabilité.
+ L’article 8 de la Déclaration universelle
sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par l’UNESCO en 2005, est
consacré à la vulnérabilité humaine. Les progrès des connaissances
scientifiques, des pratiques médicales et des technologies contribuent à
protéger le bien-être de la personne. Mais dans le même temps ils ont créé de
puissants mécanismes d’exploitation et de dégradation. Le débat sur la
vulnérabilité humaine devrait sensibiliser tous les niveaux de la société et
rappeler à chacun d'entre nous l’obligation fondamentale de veiller les uns sur
les autres, en particulier sur les êtres les plus vulnérables, sachant qu'un
jour nous pourrions être l’un de ceux-là.
+ Le concept de
responsabilité est développé dans les œuvres des philosophes Paul Ricœur (1913-2005), Hans Jonas (1903-1993) et Emmanuel Levinas (1906-1995). Le vocable «souci de l’autre » exprime
diverses formes de responsabilité vis-à-vis de la vulnérabilité humaine. Chez
Levinas, la responsabilité pour autrui, considéré comme principe
d’individuation, détermine un «concernement » pour l’autre. Elle accompagne le
processus de maturation de l’enfant, selon le pédo-psychiatre anglais Donald Winnicott (1896-1971). Le souci de l’autre se traduit chez le
philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) par une sympathie active
envers autrui, à l’origine d’une éthique de «bienveillance active et de respect
» : Kant fait de la bienfaisance envers
l’autre dans la détresse, un devoir. C’est au sein de la cellule humaine
élémentaire, la famille, que se réalise l’hospitalité sacrée, qui accueille le
plus faible et le plus vulnérable. Le pacte parental et la bienveillance qu’il
implique, représente la base de la responsabilité envers tout être humain indépendamment
de ses déficiences ou de ses capacités.
+ Après 27 ans de prison, Nelson Mandela (1918-2013) s’était fixé comme mission de « libérer à la fois l’opprimé et
l’oppresseur ». En effet « un
homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, ...
l’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. »
+ Le care est l’activité du soin donné à
autrui. Ce concept
de services à la personne se rattache à l’histoire de l’hôpital déjà fort ancienne. Dans les années
1990, à partir des mouvements féministes anglo-saxons, le concept de care a renouvelé
la réflexion et les pratiques sur les professions de soins telles que la
médecine, le soin aux handicapés, l’encadrement de la vieillesse, l’aide à
domicile, voire la procréation médicalement assistée ou la question de l’avortement.
A qui revient la tâche de mise en œuvre du care ? Aux pouvoirs
publics ? À la société civile ? Au secteur privé ? Qui doit en
assurer le coût ? La psychologue Pascale Molinier, (née en 1959) dans son ouvrage « Le travail du care » plaide pour une société où « le care serait au centre des
préoccupations de tous et non plus refourgué aux moins diplômés ».
Elle note, en effet, dans ses enquêtes que les signes d’empathie pour les
vieillards dans les institutions viennent souvent des femmes de ménages et des
aides-soignantes. Elle note le fossé grandissant entre ceux qui font le travail
de soin et ceux qui le pensent.
+ Le chercheur Albert Jacquard (1925-2013) à propos de la vulnérabilité du climat : « En fait, les pénuries les plus menaçantes
concernent non pas la nourriture, mais des biens que les économistes
d’autrefois considéraient comme sans valeur, car inépuisables, l’air et l’eau.
Le mode de vie occidental, en se généralisant, a fait apparaître la vulnérabilité du climat, dont ces
deux biens dépendent ; loin d’être inépuisables, ils sont à la merci de la
pollution que notre comportement étend comme un suaire autour de la planète. »
+ Bernard Bresson, président de la Fédération de L’Arche de France : « Les
communautés de l’Arche (accueillant des handicapés mentaux), fondées par Jean Vanier (né en 1928),
nous apprennent que c’est la vie partagée
avec les personnes fragiles qui nous aide à accueillir notre propre vérité,
avec sa part de ténèbres et sa part de lumière. »
+ Le président Obama vient sagement de
dire dans son discours sur l’état de l’Union que la force armée n’est pas seule
garante de la sécurité, que l’Amérique ne doit pas se laisser conduire sur le
terrain où les terroristes veulent la mener et qu’il faut aussi négocier avec
les moins puissants que soi.
+ Le grand défi de l’humanité est la conciliation de la
sécurité et de la liberté de la personne. Rester libre, c’est rester
vulnérable.
+ «Tu seras aimé le
jour où tu pourras montrer tes faiblesses sans que l'autre s'en serve pour
affirmer sa force. » Cesare
Pavese (-1908-1950)
+ A travers la vulnérabilité chacun de nous, de notre corps, de
notre environnement, la vie fait l’expérience d’elle-même, elle se construit,
elle s’auto-organise. La vulnérabilité
n’est pas seulement un mécanisme darwinien de sélection des plus aptes, elle
tisse les liens profonds de notre humanité.
ooooooooooooooooooooooo
Propos entendus
+ Etre
considéré comme vulnérable peut-être insultant.
+ Les
sociétés organisées sont plus vulnérables qu’autrefois.
+ L’humanité
est un rapport à soi tandis que la vulnérabilité l’est à autrui.
+ Nous nous
sentons souvent impuissants devant les défavorisés. L’humanité consiste à en
faire nos égaux, à leur donner la parole.
+ La
vulnérabilité montre le chemin de l’humanité.
+ Certains
individus se mettent en situation de vulnérabilité afin de susciter la
compassion.
+ «
Celui qui sauve un homme, sauve l’humanité toute entière ».
+ La
dédramatisation voire l’humour permettent parfois de restaurer le rapport d’égal
à égal.
+ Pas de
puissance sans faiblesse, pas de faiblesse sans force.
+Il y a
danger de perdre l’esprit critique à ses laisser influencer par des gens se
présentant comme forts. La vulnérabilité intellectuelle est aussi dangereuse
que la vulnérabilité physique.
+ La vulnérabilité
est souvent exploitée : marchands de sommeil, de sécurité...
+ Au niveau
de la société les forces et les faiblesses s’équilibrent. A l’échelle locale,
le faible est souvent écrasé.
+ Quand on fait
confiance aux faibles, cela peut leur redonner de la force. Mais certains se
défendent.
+ La
compassion peut être mal interprétée.
+ La
politique parfois exploite la vulnérabilité au lieu de la soulager.
+ Notre
société est bien malade.
+ Notre
humanité c’est de soulager lorsque c’est possible. Mais, attention, il faut reconnaître
l’autre comme notre égal.
+ Il y a risque
d’exploitation politique, économique, sociale ou morale les vulnérabilités.
+ Nous
sommes tous à a fois forts et vulnérables en différents aspects de notre
personne.
+ Nous
sommes tous vulnérables face à la mort.
+ C’est une
erreur de croire l’autre et soi-même invulnérables.
+ L’ordre
dans nos sociétés organisées les rend également vulnérables.
+ On surprotège
les enfants.
+ On se
protège contre la société.
+ La
vulnérabilité nous rend-elle vraiment humains ?
+ Humanité
et vulnérabilité sont deux mots qui prennent du sens l’un par l’autre.
+ Goebbels, sensible
à la musique de Bach, n’en était pas plus humain.
+ L’humanité
c’est entre moi et moi.
+ « Il
est préférable de subir une injustice que de la commettre », Socrate.
+ La
vulnérabilité vient de l’extérieur, l’humanité de l’intérieur.
+ Les êtres
invulnérables portent un masque.
+ « Le
vulnérable ne peut pas se permettre d’être humain », Toni Morrison ?
+ La
rencontre avec le miséreux me donne un sentiment d’impuissance.
+ Notre
fuite réussie en 1942 nous a donné un sentiment d’invulnérabilité. La
population bretonne nous a protégés.
+ En 1942, mes
parents et moi, dans le ventre de ma mère, avons été pris en charge et hébergés
spontanément par des inconnus quelque part dans une gare d’Asie centrale. Mes
parents venaient d’être libérés d’un goulag soviétique complètement démunis. La
solidarité humaine existe.
+ Il ne peut
pas exister de « contrat d’indifférence », c’est-à-dire de renoncement à l’aide mutuelle.
+ L’argent
de l’aide humanitaire est souvent détourné.
+ La parabole du bon Samaritain, ne porte pas de jugement sur les deux hommes pieux
qui sont passés à côté de l’homme blessé sans le secourir.
+ Trop
d’idéologie tue l’idéologie.
+ Aucune
idéologie n’a fait la promotion de la dignité humaine.
+ L’humour
tire d’embarras mais pas d’affaire.
+ La dédramatisation
est une force.
+ Toute
puissance est vulnérable et réciproquement.
+ Il y a des
laissés-pour-compte toute la vie.
+ Les
puissants cachent leur vulnérabilité.
+ Les idées
sont vulnérables lorsqu’elles perdent de leur force de conviction.
+ Les
bonimenteurs et publicistes s’attaquent à la vulnérabilité des gens.
+ Force et
faiblesse procèdent de l’équilibre du monde comme la lumière et les ténèbres.
+ « Le
cerf-volant monte plus haut contre le vent », proverbe anglais.
+ Il faut
accepter de s’ouvrir à l’autre.
+ La grande
vulnérabilité, c’est la mort.
+ Lors de
notre passage sur terre, nous nous relions les uns aux autres.
+ La société
produit de nouveaux risques et dangers. Il faut dépasser les rapports de force
au profit de rapports de flux, selon Joël de Rosnay.
+ La société
est humaine si elle mutualise les risques.
+ Selon Hanna Arendt, la notion
de juste et injuste est ancrée en l’homme.
+ Les
vulnérables sont parfois ingrats.
+
L’altruisme est une construction sociale.
+ Humanité
et vulnérabilité dépendent des circonstances de la vie.
+ Le
mensonge est vulnérabilité.
+ Aider
donne le sentiment d’exister davantage.
+ La société
traite mal les handicapés.
+ « La
paix commence lorsque je considère que celui qui est devant moi est exactement
comme moi ».
+ La
vulnérabilité est relative, l'humanité est absolue, immédiate, c'est une
affaire entre moi-et moi-même, de soi entre eux.
+ "Le
prochain n'est pas un phénomène, et sa présence ne se résout pas à une
présentation". Lévinas
+ "Le
visage du prochain me signifie une responsabilité irrécusable, précédent tout
consentement libre, tout pacte, tout contrat". Lévinas
+
"Chacun est de nous est coupable devant tous, pour tous et pour tout, et
moi plus que tous les autres". Dostoïevski dans les Frères Karamazov
+ La
conscience de la vulnérabilité participe à la conscience de soi.
+ La
vulnérabilité sociale nous propulse vers les autres et vers l’action.
+ Assumer sa
vulnérabilité est une force.
+ Etre
humain, c’est rester accessible au malheur des autres.
+ L’Etat
doit protéger les citoyens qui doivent pouvoir le contrôler.
+ L’humour
rend invulnérable...
ooooooooooooooooooooooo
Poème
Ce texte de
Jeannine Dion-Guérin et lu par elle, fait partie d'une suite destinée à un
livre d'artistes avec le peintre américain Casimir Farley
à paraître:
Janus, le dieu aux deux visages
Et si
l’homme se devait
d’assumer
son double
d’une face
l’autre modelée
aimantée
vers la lumière
ou sans
transition
par ses
contraires tourmentée
Et si
l’ombre ne devait
se révéler
que par la lumière
la lumière
par l’ombre
tous
fantômes sublimés
Et si cette
parcelle divine
tant
convoitée devait puiser
son eau et sa soif d’unité
dans le
chaos des origines
Jeannine Dion-Guérin
inédit
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