Nous étions quarante-deux personnes à participer à ce café
philo, le vendredi 28 mars 2014, au centre
culturel de Bouffémont, sur le thème : « Faut-il toujours rechercher la
vérité ? »
Les participants,
absents le mois dernier, ont été invités
à répondre au sondage sur la perception des activités du Chemin du philosophe.
Ce sondage est également accessible en ligne sous http://tinyurl.com/cheminsondage. Amis Internautes, merci d’y consacrer
quelques instants.
Le thème de la
soirée a été préparé et animé par Catherine Delaunay et Pierre Haller.
Les poétesses
Jeannine-Dion et Arlette Coutin nous ont fait parvenir trois de leurs poèmes.
Ceux-ci sont reproduits à la fin.de ce compte rendu.
Les thèmes des trois
prochains cafés philo ont été votés.
Vendredi 25 avril 2014 : « Peut-on fonder une
morale sans Dieu ? »
Vendredi 30 mai 2014 : « La consommation dans nos
sociétés pervertit-elle la démocratie ? »
Vendredi 27 juin 2014 : « Le renoncement fait-il
partie du bonheur ? »
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Présentation Catherine Delaunay
FAUT-IL TOUJOURS
RECHERCHER LA VERITÉ ?
Il faut d'abord souligner l'importance de cette question de
la vérité pour la philosophie. Depuis le 5ème siècle avant JC, après
Socrate et Platon en Grèce, philosopher c'est chercher la vérité.
Socrate se comparait à sa mère qui était sage-femme. De même
que les sages-femmes aident le corps des femmes à accoucher de leurs enfants, de
même les philosophes aident les esprits de leurs concitoyens à accoucher de la
vérité. Cette méthode d'accouchement de la vérité, Socrate la nommait la
maïeutique (mot grec qui signifiait l'art de faire accoucher), incite au
dialogue.
Platon, condisciple de Socrate, répétait que
"philosopher, c'est aller au vrai avec toute son âme".
Mais la vérité n'est pas seulement importante pour la
philosophie. On constate que c'est une valeur fondatrice de nos sociétés,
surtout dans nos sociétés occidentales rationnelles !
C'est d'autant plus le cas aujourd'hui que notre époque fait
l'apologie de la transparence :
-
Dans les relations individuelles comme collectives
: on y exige une certaine sincérité, on y dénonce l'hypocrisie.
-
Dans le registre de la connaissance : que
seraient les sciences sans la recherche de la vérité ? Elles ne subsisteraient
pas ; elles ne progresseraient pas.
-
Dans le registre de l'action : que serait une
institution aussi prestigieuse que la justice sans la recherche impartiale de
la vérité ?
Et pourtant, en pratique, dans les faits, pour que la vie en
société soit supportable, il faut bien respecter un certain nombre de secrets :
secret de la vie privée, secret professionnel, secret médical, secret
judiciaire, le secret défense, les services secrets, le secret des sources des
journalistes : la vérité peut être volontairement masquée pour des raisons
légitimes parfois.
C'est un fait aussi, qu’au niveau individuel, comme collectif,
les antonymes de la vérité, les contraires de la vérité que sont l'ignorance, l'erreur,
l'illusion, le mensonge fonctionnent comme autant d'obstacles réels qui se mettent
en travers de l'accès à la vérité souvent pour de mauvaises raisons, mais
parfois aussi pour de bonnes raisons.
La vérité c'est, selon une définition simple, qui remonte à
Aristote (IVème siècle avant JC) reprise par Thomas d'Aquin (13ème
siècles après JC) et de nombreux philosophes, l'accord de la pensée avec la
réalité, l'adéquation de ce que l'on dit et de ce qui est. Si montrant la table
je dis : c'est une table, ma proposition est vraie, si je dis : c'est un chat,
ma proposition est fausse. C'est soit une erreur, soit un mensonge, soit une
illusion si je perçois mal ce que j'ai vu.
-
Une erreur, c'est justement une affirmation non
conforme à la réalité. Dire que la terre est immobile comme le croyaient les
anciens, c'est une erreur. Dire qu'elle est en mouvement car elle tourne sur
elle-même et autour du soleil, c'est vrai ; c'est confirmé et démontré par la
science.
-
Une illusion, c'est aussi une affirmation
erronée, mais dérivant de notre perception ou de notre désir. Voir de l'eau dans
le désert alors qu'il n'y en a pas, être victime d'un mirage, c'est une
illusion. D'ailleurs ce peut être à la fois une illusion d'optique et une
illusion psychologique qui consisterait à prendre ses désirs pour la réalité.
Aujourd'hui nous sommes victimes de nombreuses illusions psychologiques :
illusions de croire que l'on pourrait échapper à la nécessité de travailler, de
dépendre des autres, de vieillir, de mourir, etc.
-
Un mensonge, c'est une erreur, mais volontaire
cette fois. C'est délibérément que l'on tient un propos erroné, quelquefois par
intérêt personnel, quelquefois aussi pour protéger un proche. Des institutions
ou même l'Etat peuvent mentir tantôt pour de bonnes, tantôt pour de mauvaises
raisons. Dans le cas de l'Etat, on parle de "raison d'Etat", quand
l'Etat ment soit disant pour préserver la nation, au nom de l'intérêt général.
Nous voyons déjà au niveau de cette simple introduction que le statut de la vérité est paradoxal :
-
En droit, en théorie, la vérité est une valeur
éminente qui joue un rôle essentiel dans la plupart des secteurs de notre
existence. C'est pourquoi la vérité est valorisée.
-
En même temps, dans les faits, la vérité est
souvent contredite, omise, évitée, cachée, bafouée, malmenée, combattue, car
elle peut inspirer de la crainte. Elle peut être considérée comme nuisible ou
dangereuse pour l'individu comme pour la collectivité.
D'où la question faut-il
toujours rechercher la vérité ?
-
Faut-il peut
être compris dans deux sens :
o
Est-ce une nécessité ? C'est-à-dire qui ne peut
pas être autre qu'il n'est dans la réalité ou selon la logique.
o
Est-ce un devoir, une obligation ? La vérité est
alors référée à la morale, au bien, au mal.
Ces deux dimensions pourront être envisagées dans le
traitement du sujet.
-
Toujours
vient conforter et amplifier le faut-il.
-
Adverbe de temps, toujours s'entend d'abord en
effet dans le temps, comme signifiant continuellement, dans la totalité du
temps, après des temps sans fin qui ne s'arrêtera pas. Il n'y a pas de terme à
la recherche de la vérité.
-
Mais on peut aussi l'entendre dans l'espace :
c'est-à-dire généralement en tous lieux, en toutes circonstances, dans toutes
les situations, sans exception, il faut chercher la vérité.
-
Précision encore en extrapolant le toujours :
o
c'est
quels que soient les moyens mis en œuvre
o c'est quels que soient les effets, les
conséquences de cette recherche de la vérité.
Remarque :
Il était possible de traiter ce sujet en contestant la
possibilité, même de l'accès à la vérité. Nous sommes à l'époque de la
relativité, de l'idée que toutes les vérités se valent, qu'il n'existe que des
vérités partielles, partiales qui sont constamment rectifiées, corrigées et on
aurait pu, en effet, répondre au sujet qu'il ne faut pas toujours chercher la
vérité, car l'idée de vérité est une pure illusion, ce qu'énonce en partie le
scepticisme. J'ai volontairement dans mon exposé laissé cette philosophie de
côté, car c'est me semble-t-il s'embarquer dans un autre sujet, mais si le
groupe souhaite qu'on aborde cette question on le fera.
PLAN DE L'EXPOSÉ :trois temps
- Oui il faut jours
rechercher la vérité :
- - nécessité vitale
- - exigence morale
- Cependant dans les faits,
pour sauvegarder des intérêts individuels et collectifs, nous choisissons
volontairement ou non de bafouer les vérités jugées dangereuses.
- Néanmoins, est-ce la
vérité qui en elle-même est dangereuse ou bien est-ce l'usage que nous en
faisons qui peut se révéler blessant pour les autres ?
La question faut-il chercher la vérité toujours a de quoi
surprendre le philosophe et le scientifique, tant cela leur paraît évident.
Dans un premier temps, on est porté à répondre par l'affirmative à cette
question, sans discussion.
I.
Oui, il
faut toujours rechercher la vérité en se référant aux deux sens du verbe
falloir distingués précédemment.
- D'abord c'est une nécessité vitale pour l'homme et pour
l'humanité.
·
Sans la connaissance exacte et fidèle de notre
milieu, nous ne pourrions survivre. Très tôt même avec des modèles
rudimentaires, les hommes ont tenté de décrypter, de comprendre, d'expliquer le
monde dans lequel ils vivaient. A la fois ils construisaient des outils, des
techniques pour dominer la nature et en même temps ils produisaient un savoir
capable d'élucider progressivement les mécanismes de cet univers.
C'est grâce à ces vérités accumulées et organisées au cours
des siècles que les hommes ont pu maitriser la nature, puis la transformer et
finalement s'en libérer. L'existence même de l'homme en dépendait. C'était une
nécessité vitale.
·
Il y a là une différence essentielle avec l'animal.
L'animal est doté d'instincts de survie, de conservation, de perpétuation de
l'espèce qui lui permettent de simplement s'adapter, s'insérer dans son milieu.
Platon dans son dialogue du "Protagoras" reprenait un mythe célèbre
de la tradition grecque, le mythe de Prométhée pour rappeler que
si les animaux
sont pourvus, armés pour se défendre les uns contre les autres et contre les
intempéries et se conserver, l'homme est la plus démunie de toutes les
créatures. C'est pourquoi Prométhée en volant le feu du ciel ainsi que la
connaissance de tous les arts, a permis à l'homme de se maintenir en vie : sans
le savoir et le savoir faire, sans la recherche de la vérité, l'homme resterait
à l'état animal, il se conterait de subir la nature. C'est parce qu'il n'est
pas doté d'ailes qu'il imagine des avions pour voler. L'homme y gagne une
immense liberté par rapport à son milieu. La vérité est émancipatrice.
C'est pourquoi la vérité est aussi une exigence, une
obligation morale, un devoir. Nous retrouvons ici le second sens du verbe
falloir.
·
Notre capacité de connaissance fait notre dignité,
notre honneur, notre humanité. Nous ne sommes pas seulement mus par des
instincts de survie, par des intérêts matériels. Nous sommes mus par la
curiosité ; l'étonnement disait Aristote pousse toutes les recherches vers le
progrès.
·
Notre connaissance peut être désintéressée et
nous procurer une satisfaction pure, gratuite. Aristote faisait de la
contemplation de la vérité le bonheur et la vertu suprême du philosophe qui
avait atteint la véritable sagesse. Les philosophes comme Pascal, Descartes ont
repris largement ce thème.
·
Beaucoup plus tard au 19ème siècle, un
philosophe connu, Hegel, expliquera que la vérité advient, se construit
et
progresse dans l'histoire. Chaque époque met à jour de nouveaux aspects de la
réalité. C'est évident sur le plan scientifique mais c'est vrai aussi sur le
plan politique et social : de nouveaux régimes politiques émergent comme la
démocratie qui s'étend et apporte davantage de droits à tous. De nouvelles
valeurs comme l'égalité, la solidarité s'imposent comme des vérités de vie
qu'il faut promouvoir pour le bonheur du peuple.
C'est bien la preuve qu'il faut rechercher toujours
davantage la vérité pour faire progresser l'humanité.
·
Sans compter que la vérité est connectée avec le sens de l'existence, ce qui intéresse le philosophe et tout un chacun.
Nous désirons tous accéder à l'alpha et l'oméga de ce monde, aux raisons d'être
de l'existence. Et pourtant l'existence prouve que cet idéal de vérité est
souvent pris en défaut.
II.
Mais
dans les faits, dans la réalité, la vérité peut être volontairement ou non
escamotée, bafouée, reléguée aux oubliettes pour lui préférer l'ignorance,
l'erreur, l'illusion, le mensonge et ce, pour sauvegarder des intérêts
individuels et collectifs.
- Sur le plan individuel on peut illustrer par quelques exemples.
- On peut préférer
l'ignorance à la vérité. Certains affirment ne pas lire le journal, ne
pas écouter la radio, ne pas consulter les différents moyens
d'informations, pour ne pas être troublés, affectés, blessés par les
malheurs et désastres du monde.
Les prisonniers de la caverne de Platon vivaient aussi
confortablement dans un monde d'ignorance.
·
On peut aussi se laisser entrainer par toutes
sortes d'erreurs, de rumeurs, par les idéologies, les opinions fausses, tout un
conformisme de pensée, celui de sa classe sociale, de ses origines, de sa
famille, de sa religion.
Lorsque Copernic puis Galilée ont démontré que la terre
n'était pas le centre du monde comme le croyaient leurs contemporains, ils
heurtaient de plein fouet la conscience et la croyance communes. La vérité
vient toujours bousculer une vision traditionnelle du monde. On peut préférer
ses habitudes de pensée et refuser la vérité.
·
Les illusions, les chimères, les rêves,
l'imaginaire sont une autre manière de fuir la réalité. On peut s'illusionner
sur soi-même, sur ses proches, sur ses fans et ses modèles, sur le parti politique
auquel on est affilié !
Après l'effondrement du communisme beaucoup d'intellectuels,
beaucoup d'ouvriers aussi qui avaient adhéré à ces idées se sont sentis floués,
trompés. La révélation de la vérité peut être cruelle, violente. On la retarde,
on préfère un certain aveuglement, on préfère les illusions.
·
Que dire enfin des mensonges aux autres, à
soi-même qui sont conscients et délibérés ?
Je laisse de côté les exemples, ils sont à foison. Nous
savons que les mensonges se font par peur, par lâcheté, par intolérance, par
orgueil, par intérêt surtout, mais aussi pour préserver sa liberté, son bon
plaisir, son bien être, son bonheur.
Finalement on pourrait dire que tous ces obstacles à la
vérité fonctionnent comme un voile protecteur devant une réalité vécue comme
menaçante.
- C'est encore plus vrai sur le plan collectif.
Nos sociétés intègrent complètement la nécessité du mensonge
et de l'hypocrisie. Un auteur a particulièrement bien décrit cette situation,
c'est Pascal au 17ème siècle, dans ses Pensées, voici son propos :
·
"Ainsi
la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle, on ne fait que
s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence
comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est
fondée que
sur cette mutuelle tromperie ; et peu d'amitiés subsisteraient, si
chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en
parle alors sincèrement et sans passion. L'homme n'est donc que déguisement,
que mensonge et hypocrisie envers soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut
donc pas qu'on lui dise la vérité".
·
On pourrait remarquer que même une institution,
comme la politesse, est une forme d'apprentissage de l'hypocrisie par laquelle
on couvre et habille notre jugement sur les autres par un vernis de rituels
convenus, de formules toutes faites, conventionnelles. Cela évite des échanges
trop francs qui pourraient déboucher sur des conflits ou de la violence.
·
Probablement en effet le tréfonds de nous-mêmes
n'est pas que bons sentiments et innocence. Freud a bien mis en évidence que
notre inconscient baigne dans l'ambigüité, l'ambivalence, l'équivocité. Nous
pouvons aimer et haïr à la fois les mêmes êtres. Et ce mécanisme fondé sur la
dissimulation de la vérité serait paradoxalement bénéfique à la cohésion
sociale et au vivre ensemble.
·
On voit que si individuellement les motifs de
cacher la vérité peuvent être suspects, collectivement ils peuvent être sains,
utiles apaisants et pacificateurs pour la société.
N'est-il pas légitime au fond de taire la vérité, de la
refouler même, de ne pas vouloir la voir quand nous sentons qu'elle peut nuire
à autrui ?
III.
La
vérité est-elle vraiment dangereuse, nuisible en elle-même ou bien est-ce
l'usage que nous en faisons qui peut devenir blessant ?
Remarque : Toute la
difficulté, c'est que tant que l'on cherche la ou les vérités, on ne connait
pas les effets, les conséquences, applications possibles, tantôt les risques,
les dangers, tantôt les bienfaits.
·
C'est le problème que rencontrèrent les vérités
scientifiques. Les découvertes peuvent parfois donner lieu à des applications
très divergentes, pour guérir, pour soigner ou pour détruire, car ce sera
utilisé dans la production d'armes par exemple, ce fut le cas des travaux de
Marie Curie.
·
Einstein dans sa correspondance explique, avec
un peu de provocation peut-être, que la découverte de la fission atomique n'est
pas en soi plus dangereuse que l'invention des allumettes. Tout dépendra de
l'usage qu'on en fera. On pourrait dire la même chose pour la génétique, on
pourra guérir des maladies auto-immunes, mais aussi procéder au clonage
reproductif ou bien modifier le génome humain.
·
Il en est peut être de même sur le plan
politique et social. On a cru pendant longtemps qu'il fallait cacher,
dissimuler certaines actions plus ou moins immorales conduites par un Etat : la
torture en Algérie, l'assassinat politique, les écoutes téléphoniques sous la
présidence Mitterrand, l'affaire du sang contaminé, l'affaire du
Rainbow-warrior, etc.
Aujourd'hui on exige que ces vérités soient mises sur la
place publique. L'affaire Cahuzac a été exposée. En revanche quel mauvais usage
a-t-il été fait autour des écoutes téléphoniques de l'ancien Président et de
son avocat ! Pourquoi les pouvoirs n'assument-ils pas la vérité ?
Les citoyens ne sont-ils pas responsables et capables de
faire bon usage y compris des vérités les plus inquiétantes ? Combien de
voix s'élèvent aujourd'hui pour conseiller aux hommes politiques de dire la
vérité sur la situation d'un pays même quand elle est difficile ou lieu de
tergiverser et de mentir ?
·
Chacun de nous dans son métier, dans ses
échanges est confronté à ce problème.
·
Le médecin peut dire la vérité sur un mauvais
diagnostic à son patient avec tact, délicatesse ou bien il peut le faire sans
compassion, sans soutien. Il peut parfois décider de passer par des tiers s'il
juge cette vérité insupportable pour son malade.
·
Dans nos relations, il est de bon ton d'afficher
une franchise, une sincérité totale mais il y a un usage cynique de la vérité à
accabler, à écraser quelqu'un sous prétexte de lui dire "ses quatre
vérités" pour le réveiller ou le mettre sur le bon chemin.
Donc faire un usage moral de la vérité, c'est prendre soin
de son semblable sans instrumentaliser la vérité pour son propre compte.
CONCLUSION : Deux courants contraires, deux écueils.
- Notre époque assiste au
déclin de la suprématie de la vérité. C'est l'ère de la relativité, de la
subjectivité. Chacun veut pouvoir interpréter la réalité à sa guise. Si
toutes choses sont relatives à notre époque, à notre culture, à notre
tempérament alors il n'y a pas lieu de rechercher la vérité ! Il suffit de
se laisser porter par notre temps.
Le premier danger ce serait de ne plus la rechercher au nom
de ce relativisme.
- Le second danger serait
de la rechercher trop comme un absolu, une idole, qu'il faudrait et que
l'on pourrait posséder une fois pour toutes. C'est ce que font les
systèmes de pensée intégristes qui aiment tellement leur vérité qu'ils
tombent dans le fanatisme et l'intolérance. Alain disait "Le fanatisme, ce redoutable amour
de la vérité".
- Peut être que le sujet
contient la réponse : rechercher,
suppose, si on prend ce verbe au mot, que l'on n'est jamais satisfait,
jamais arrivé définitivement. On accepte d'attendre, de continuer à
douter, à interroger. Kant d'ailleurs définissait la philosophie comme une
simple "méthode de recherche".
- Cela signifie surtout que
"la vérité" on ne peut pas l'englober, l'embrasser, la cerner,
la saisir, la circonscrire, il faut rester dans une ouverture illimitée
pour l'accueillir quand elle survient.
La vérité n'est que dans la recherche, mais une recherche
vigilante et assidue.
Ce n'est en rien la position sceptique qui se contente de
suspendre son jugement.
ooooooooooooooooooooooooooooooooo
Présentation de Pierre Haller
« Faut-il toujours rechercher la vérité ? »
0.
La
question ainsi formulée laisse penser que la vérité n’est pas toujours
immédiate, ni définitive et qu’elle peut être cachée volontairement ou non. Il
peut être utile ou inutile, voire dangereux de la connaître. Qui est concerné
par la recherche de la vérité? L’humanité entière, un scientifique, un juge, une
collectivité, un citoyen, un croyant, un individu, un parent, un conjoint ?
Actuellement de nombreuses affaires d’espionnages ou d’incursions dans les vies
privées font la joie des médias et montrent à quel point le monde est avide de
vérité. Mais s’agit-il uniquement de vérité ?
1.
Champ
sémantique.
La vérité : conforme à la réalité, représentatif de la
réalité, sincérité, véracité, authenticité, exactitude, précision, justesse.
Qu’est-ce que la réalité ? La matérialité, l’évidence,
la nature, l’expérimentation, la constitution des choses.
Les expressions de la vérité : la certitude, la conviction,
la croyance, l’évidence, la conscience, les dogmes, les doctrines, la
révélation, le catéchisme, les principes, les normes, les règles, les lois.
Les contraires de la vérité : l’illusion, la fiction,
l’apparence, l’imprécision, l’inexactitude, l’erreur, le mensonge, la tromperie
les sophismes.
Exemple de sophisme :« Un problème comporte
toujours au moins une solution. Donc s'il n'y a pas de solution, il n'y a pas
de problème ».
2.
Les
domaines de la vérité : les sciences, les sciences sociales,
l’histoire, la politique, les statistiques, les religions, les mœurs, les lois,
les personnes.
3.
Les
territoires où s’expriment la vérité et ses avatars.
+ La vérité est une construction
sociale issue de facteurs multiples, d’interprétations multiples,
d’intérêts multiples.
+ La vérité s’appuie
sur un langage. Existe-t-elle si elle n’est pas énoncée ? Comment le
langage la détermine ?
+ L’intuition est
un processus mental inconscient qui conduit à un sentiment d’évidence d’une
vérité. Elle peut être trompeuse.
+ Les mythes, les
contes ou les paraboles sont souvent des métaphores de vérités
profondes de la condition humaine
individuelle ou collective. La psychanalyse s’en inspire.
+ Les croyances
religieuses font appel à un ensemble de récits mythologiques souvent
éloignés de la vérité rationnelle. La foi religieuse demande en principe
d’adhérer sans démonstration à des corpus de dogmes.
+ La croyance à une
vérité peut relever de la révélation à un individu, elle peut aussi être
autoritaire ou symbolique. Les vérités religieuses, qu’on y croit ou non, sont
structurantes des sociétés et de la psyché individuelle. Le problème des
symboles, qui ne sont en principe que des représentions d’une possible réalité
transcendante, est qu’ils sont parfois considérés comme des vérités en soi pour
lesquelles les hommes sont capables de s’entre-tuer.
+ Le philosophe Cornelius Castoriadis
(1922-1997) rapporte: « A Salem, la sorcellerie était réelle,
elle ne l'est plus aujourd'hui. Karl Marx (a dit) l'Apollon de Delphes était en
Grèce une force aussi réelle que n'importe quelle autre. »
« Le vrai se conclut
souvent du faux. » Blaise Pascal (1623-1662)
+ L’économie se
base sur la croyance en la valeur et l’utilité des biens matériels ou
symboliques comme la monnaie. Tout comme la croyance religieuse, la croyance
économique est structurante, c’est une force réelle. Les objets nouveaux créent
des consommateurs nouveaux et des croyances collectives nouvelles.
+ Les croyances ou
vérités collectives sont auto-générées et diffèrent de la somme ou de la
moyenne des croyances des individus. Elles sont plutôt la moyenne de ce que
chacun croit que la collectivité croit. Ex. : le concours de beauté de
Keynes , qui consiste dans la stratégie boursière de spéculer sur ce que
l’autre pense.
+ L’émotion et la
raison sont les deux composantes de la quête de la vérité, avec souvent des
excès dans un sens ou dans l’autre.
+ L’utilitarisme.
Le confort intellectuel, le conformisme, l’opportunisme politique,
professionnel, social ou religieux sont quelques raisons collatérales
d’adhésion à une vérité.
+ En sciences, la
recherche des vérités ultimes sur la matière au niveau de ‘infiniment petit
(boson de Higgs) ou de l’infiniment grand (univers) apporte surtout des
satisfactions intellectuelles et des avantages collatéraux à l’humanité ; il
s’agit par exemple de retombées technologiques telles que le développement des
supraconducteurs, d’Internet, de détecteurs, de satellites, de coopération
internationale des scientifiques, de vision renouvelée de notre place dans
l’univers. La motivation militaire accompagne presque toujours les recherches
scientifiques, y compris en médecine ou dans les sciences humaines.
+ Le relativisme
absolu ou le nihilisme absolu n’accordant
aucune valeur à aucune vérité, ne sont pas viables. Ils se nient eux-mêmes.
+ L’incomplétude,
l’auto-contradiction. Une vérité,
même scientifique ou morale, n’est vraie que dans un contexte spatio-temporel
donné, qui peut–être plus ou moins étendu. Toutefois la preuve de l’exactitude
des théories scientifiques est la possibilité de leur application dans un
domaine technique donné (ex. : transistors, énergie nucléaire, médecine).
Au delà de certaines limites, le ticket n’est plus valable. Exemples : en
physique, la mécanique quantique ; en éthique, l’acharnement médical, les
limites de l’action caritative, les utopies politiques ou économiques qui
conduisent à l’exclusion de pans entiers de la population.
+ L’indécidabilité est
l’impossibilité de prouver une hypothèse. Ex: : l’affirmation classique
« Les Crétois sont des menteurs » ; l’existence de Dieu ;
l’évolution l’univers est-elle due au
hasard ou à une finalité ?
« Incompréhensible que
Dieu soit, et incompréhensible qu'il ne soit pas.» Blaise Pascal
La vérité du court terme, n’est pas nécessairement celle du
long terme. La vérité locale n’est pas toujours globale. L’intérêt global n’est
pas nécessairement la somme des intérêts individuels.
+ Cette même complexité rend souvent compliquée l’analyse de
l’arbre des causes d’un événement.
Derrière la cause immédiate d’un accident se cachent de multiples autres
éléments qui y ont contribué. Par exemple un accident de la route peut être la
résultante de la culture globale de la société, de la politique de l’Etat, du
profil psychologique du conducteur, de l’état du véhicule, des infrastructures
routières et de leur entretien, des conditions météo, des comportements
respectifs des protagonistes au moment de l’accident. On peut poser le même
type d’interrogations sur les crises financières ou les déclarations de guerre.
Au-delà des causes immédiates interviennent des causes profondes des
événements.
+ Le hasard.
Attribuons-nous le hasard à « notre ignorance de la vérité profonde des
choses », comme le pense Laplace
(1749-1827), ou bien à la « rencontre de deux séries causales
indépendantes » selon le mathématicien Cournot
(1801-1877) ?
La nature semble utiliser le hasard dans le processus de
reproduction des êtres vivants lors de la dissémination des graines et de la
rencontre des patrimoines génétiques.
+ Les probabilités intervenant
dans de nombreux processus font qu’il n’y a pas de vérité a priori. La vérité
est qu’il n’y a pas de vérité prédéfinie.
+ Les corrélations ne
sont pas raison. (Ce n’est pas le retour des cigognes après la seconde
guerre mondiale, qui est à l’origine du baby boom.)
+ Certains phénomènes naturels et humains connaissent des régularités non quantifiables. (Probabilités philosophiques de
Cournot), contrairement aux probabilités
mathématiques, comme celle du lancer de dés. X. De Scheemaekere, dans « Les
fondements philosophiques du concept de probabilité » distingue des
vérités logiques, subjectives, fréquentielles ou de propension.
+ Les oracles, sont
censés prédire l’avenir par l’intermédiaire de devins détenteurs de savoirs
ésotériques. Ceux-ci s’assurent une position sociale. Ceux qui y croient s’en
servent pour trouver du sens et de la cohérence dans leur vie. Ceux qui les
instrumentalisent, comme les pouvoirs politiques et les prophètes religieux,
les utilisent pour asseoir leur autorité.
+ La mathématisation
des processus financiers et économiques ou des sciences sociales constitue des
progrès de la raison, mais souvent leur confère une apparence de
vérité qui n’empêche pas la survenue d’erreurs et de crises. Ex. : la
crise des subprimes, les calculs des risques, la mondialisation des économies. Gustave Le Bon
(1841-1931), écrivait : « Présentée
sous forme mathématique, l'erreur acquiert un grand prestige. Le sceptique le
plus endurci attribue volontiers aux équations de mystérieuses vertus. »
+ Les vérités et les
ordres sous-jacents n’apparaissent souvent pas de manière immédiate. C’est
le rôle du philosophe ou du scientifique d’élaborer des concepts pour faire
apparaître cet ordre. Souvent une fois que le concept est admis, l’ordre
sous-jacent devient évident. Exemple : le féminisme, le genre, la
démocratie, la justice, etc.
+ Le concept est un
outil, un artifice qui permet de penser le monde. Le sens peut émerger du
hasard.
+ L’interprétation
des vérités admises dans les domaines scientifiques ou philosophique est le
moteur du progrès souvent irréversible. Elle fait émerger de nouvelles
hypothèses avec évidemment le risque d’erreur ou de crise.
+ La rhétorique est l’art oratoire de
convaincre un auditoire de la justesse d’un point de vue. Elle manipule le logos, le pathos et l’êthos.. Elle ne
garantie pas la vérité universelle, mais elle est à même de faire triompher une
certaine vérité ou contre vérité. Elle peut s’avérer structurante ou déstructurante
des psychés individuelles ou collectives. La musicalité rhétorique et parfois
jargonnante des discours politiques, religieux ou académiques constitue souvent
l’essentiel de leur force de conviction.
+ Justice et liberté sont des mots qui chantent avec lesquels on peut tromper le monde.
+ Les fabricants du
doute peuvent être au service de la vérité comme à celui d’intérêts
particuliers. Ex. : les
climatosceptiques, les hoax sur internet.
+ Notre société surinformée et démocratique, paradoxalement,
rend invisibles ou illisibles des
pans entiers de la population en les caricaturant par des stéréotypes :
les chômeurs, les cités, les bobos, les ouvriers, les handicapés, les malades
mentaux, les barbus, les immigrés, les Roms, etc. L’historien Pierre Rosenvallon
(né en 1948), dans son livre « Le Parlement des invisibles », essaie
de donner la voix aux invisibles de la République pour « sortir de la terrible ignorance dans laquelle nous sommes les
uns des autres ».
+ La bêtise est
une contrevérité qui a parfois pignon sur rue. Exemple du philosophe Bernard Stiegler (né
en 1952 à Sarcelles) : l’ultralibéralisme économique soutenu par des
universitaires ou des prix Nobel de l’école
de Chicago.
+ Selon, Friedrich Nietzsche (1844-1900), « la philosophie c’est la guerre à la
bêtise. »
+ Le déni de la
réalité est un phénomène récurrent dans la vie individuelle ou collective.
Le jusqu’au-boutisme conduit souvent à des catastrophes. « Ce qu’on ne
veut pas n’existe pas. » Ex. :Déni de grossesse, risque de tsunami à
Fukushima nié par Tepco.
+ L’éducation
(connaissances et comportements) change la vision du monde et rend les
personnes intellectuellement plus rigoureuses et moins influençables par les
balivernes et les fanatismes, bien qu’elle ne constitue pas un rempart absolu.
4.
Les
besoins humains de vérité.
Il s’agit d’un besoin
neurobiologique de l’homo sapiens sapiens, l’homme qui sait qu’il sait, qui
sait penser ce que l’autre pense et donc qui sait mentir.
La confiance
mutuelle est basée sur la vérité.
Le besoin de connaissance,
de sens, de liberté.
La vérité est nécessaire pour agir.
5.
La
quête de vérité est-elle essentielle, utile, vaine, dangereuse ?
+ La vérité absolue sur la création du monde (« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que
rien ? »), si elle existe, est sans doute inatteignable car elle
semble faire intervenir des dimensions de la réalité qui nous échappent. Nous
sommes perdus dans un cosmos qui s’étend de l’infiniment petit à l’infiniment
grand et de l’infiniment court à l’infiniment long temporellement. Nous devons
nous contenter de vérités de l’ici et du maintenant et d’en vivre.
+ Les récits
mythologiques des religions ne résistent pas à l’analyse de la raison
simple. Doit-on rechercher la vérité historique si on veut garder la foi ?
+ Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire à une personne. Les mots peuvent tuer.
+ La politesse
est une forme de mensonge qui facilite la vie en
société. « Peu
d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il
n’y est pas. » Blaise Pascal
+ La cosmétique ou le
maquillage du corps sont des formes de mensonge qui contribuent au
bien-être des personnes.
+ Toutes les vérités
historiques d’un peuple ne sont pas bonnes à dire. La cohésion sociale est
possible grâce au pardon et souvent à l’oubli. Des vérités historiques
tronquées sont souvent instrumentalisées par des pouvoirs politiques ou
religieux. Il y a une juste mesure à trouver entre le travail mémoriel de
l’histoire des crimes contre l’humanité et l’entretien de haines et de névroses
victimaires ou culpabilisantes de générations en générations.
+ Vaut-il mieux de pieux mensonges ou des oublis que des
(demi) vérités dévastatrices ?
+ Le travail de deuil
consiste au transfert d’une vérité émotionnelle vers une vérité rationnelle et
distanciée.
+ Les Etats
semblent de tout temps avoir au besoin de secrets pour fonctionner, secrets
vis-à-vis des autres pays, et vis-à-vis de leurs propres citoyens. La
démocratie implique normalement que tous les organismes porteurs de secrets
d’Etat soient soumis à des contrôles afin
d’éviter les dérives. Même les contrôleurs doivent être contrôlés.
+ Selon le taoïsme qui a inspiré l’art de la
guerre de Sun Tzu au
5ème siècle av. J.C., connaître l’ennemi
permet de le contourner et le vaincre sans affrontement direct. L’objectif
de la guerre est de contraindre l’ennemi à abandonner la lutte, y compris sans
combat, grâce à la ruse, l'espionnage et une grande mobilité : il s’agit de
s’adapter à la stratégie de l’adversaire pour s'assurer la victoire à moindre
coût.
+ La désinformation, avec
ses techniques éprouvées, est une arme de guerre et de pouvoir. Les pouvoirs
institués ont tendance à jeter des vérités simplistes en pâture au peuple.
+ La complexité des
réglementations et des lois, notamment fiscales ou bancaires, rend
difficile le contrôle démocratique, même par les élus. Elle profite souvent aux
aigrefins.
+ Les scandales
relatés régulièrement par les médias ne laissent émerger que des vérités
partielles et résultent souvent de guerres de clans qui se dénoncent
sournoisement les uns les autres.
+ Les services de
com’ des gouvernements et des entreprises mettent en général en avant des
demi-vérités en leur faveur. Leurs « éléments de langage » sont
rarement de vrais mensonges.
+ Les biais cognitifs,
étudiés en psychologie cognitive et sociale, sont des schémas de pensée
induisant des erreurs de perception,
d’évaluation et de jugement en particulier dans les domaines judiciaires ou
scientifiques. La publicité exploite des tels biais cognitifs par des messages
fallacieux (le gaz est naturel, la nourriture est bio, le camembert est moulé à
la louche, le shampooing est dermo-capillaire sans paraben, etc.) Voir comment notre cerveau nous trompe.
+ L’anumérisme,
le pendant de l’illettrisme, désigne l’incapacité de nombreux citoyens de
manier la signification des nombres, notamment des concepts de statistique ou
d’ordre de grandeur. Cet anumérisme biaise en particulier la perception des
risques. Les risques du nucléaire, du terrorisme ou de l’immigration sont
instrumentalisés et surévalués par rapport aux risques climatiques et
sanitaires, de l’utilisation des hydrocarbures, des politiques sécuritaires
pour la démocratie, des règles des jeux financiers ou de la délinquance en col
blanc pour la justice sociale.
+ Les secrets
professionnels sont nécessaires à l’exercice de certains métiers. Du fait
qu’il s’agit de secrets, les informations sont d’autant plus intéressantes. Les
secrets de la correspondance, de la confession dans le temps où les gens se
confessaient encore chez le prêtre, de la médecine permettent aux autorités
civiles ou
religieuses d’accéder à l’intimité des personnes.
+ La révélation de soi-disant secrets suscite l’intérêt et
constitue un marché économique
considérable dans nos sociétés (intelligence économique, espionnage politique,
industriel, militaire, presse à scandale, internet, etc.)
+ « Le trafic
d’influence est devenu l’instrument du pouvoir contemporain », titre
un article d’Yves
Michaud (né en 1944), philosophe, dans le « Monde » du 17 mars
2014. Ce trafic consiste à octroyer ou à promettre des décorations, des
emplois, des marchés, des décisions favorables ou l’absence de décision. Des
conseillers de l’ombre servent à mettre à place de « l’ingénierie
financière » pour frauder le fisc ou de « l’ingénierie pénale »
pour évaluer les risques. Ces techniques sont de plus en plus sophistiquées à
mesure que se développent les procédures de transparence ou la juridicisation
qui paradoxalement « assainissent le marché» en éliminant les petits
amateurs et permettent la survie des plus rusés.
+ Un « bon » journal, élève, politicien ou
salarié, etc. dit en général ce qu’on veut entendre de lui, même si ce n’est
pas tout à fait la vérité.
+ Est-il toujours bon
de connaître le dessous des cartes ?
+ Les médias modernes
sont les supports du mensonge comme de la vérité. Mais leur rôle est
« globalement positif ». Ils constituent un élément essentiel de la
démocratie et de la diffusion du savoir et d’une morale consensuelle. Ils dénoncent
les crimes, les délits, les corruptions, invitent à la compassion ou à la
prudence. Cependant lorsqu’on est expert dans un certain domaine, on constate
que les informations relatées par les médias sont souvent tronquées. Mais il
est bon que l’expert se rende compte qu’il existe d’autres points de vue que le
sien. Les affaires politico-médiatiques récentes sont probablement plus
complexes que telles qu’elles sont servies au public.
+ « Il est bien plus
beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d'une chose.»
Blaise Pascal
+ Chaque être a droit à une sphère de vie privée et d’intimité, à ses vérités personnelles qui
ne sont pas accessibles aux autres que sous son contrôle. L’inconscient recèle
des vérités qui échappent souvent au sujet lui-même.
+ Certains secrets d’Etat, de famille, de personnes peuvent
empoisonner de manière plus ou moins consciente la vie quotidienne pendant de
longues années. La pathologie du secret
finit par ruiner les institutions et les individus.
+ En tant qu’individu, devons-nous rechercher la vérité des choses qui ne nous concernent pas ou peu ? La
vérité des choses sur lesquels nous ne pouvons de toute façon pas agir ?
L’indignation est-elle une simple posture d’auto-proclamation de sa propre
moralité ?
6.
Quelques
défis à la vérité de notre temps.
+ L’impact de l’anthropocène, de l’homme technologique, sur la nature. Grâce aux effets collatéraux de la technologie, la
société humaine a gagné en démographie, en démocratie et en diffusion de la
culture. Les impacts environnementaux, à cause de la démographie galopante dans
certains pays et des pollutions, sont considérables. Ceci semble une vérité
communément admise. Les solutions sont loin de faire consensus elles se
heurtent à des préjugés idéologiques, religieux ainsi qu’à des intérêts
économiques et claniques de court terme et inappropriés à la nouvelle réalité
du monde. Même si nous avons conscience du risque, nous sommes incapables
individuellement ou collectivement de modifier la trajectoire qui conduit dans
le mur. La vérité devrait plutôt se contenter du moindre mal entre le
développement humain et la préservation de la nature. L’utilisation de
l’énergie nucléaire et le contrôle des naissances peuvent significativement
contribuer à réduire les menaces sur le climat et sur les malheurs du monde.
(la population de la Côte d’Ivoire s’est multipliée par sept depuis la
décolonisation dans les années 1960, sans que le développement humain et social
ait suivi ; c’est comme si la France était passée à 300 millions
d’habitants, selon.la revue Etudes
de février 2014..). La vérité sur les mécanismes des pouvoirs et des groupes
d’influence, y compris les vertueux auto-proclamés, devrait également
contribuer à identifier la réalité des menaces.
Selon une récente étude à paraître dans le "très
sérieux" Elsevier journal Ecological Economics, en partie financée par
la NASA, notre civilisation moderne
pourrait disparaître dans "quelques décennies". Elle
s'appuie sur les facteurs communs qui ont conduit à la disparition des
précédentes grandes civilisations (la dynastie Han en Chine, les Mayas en
Amérique, l'Empire romain), à savoir, principalement, une mauvaise gestion des ressources et une société inégalitaire.
+ L’utilisation des nouvelles
technologies de l’information, dont Internet, permet aux autorités et à des
groupes d’intérêts de collecter et d’exploiter massivement des informations sur
les individus et sur les groupes. Ceux-ci sont profilés mécaniquement dans les
ordinateurs par les algorithmes. Cette masse de « bigdata » est non
seulement mondiale, mais elle peut aussi être conservée et réexploitée
éternellement. Cette source de « vérités » sur les personnes et les
groupes aux mains d’oligarchies
constitue un bouleversement anthropologique unique dans l’histoire de
l’humanité. Jusqu’à présent chaque être pouvait préserver sa sphère d’intimité
et bénéficiait de l’oubli de ses
écarts passés. A l’avenir, le monde du
travail sera à même de recruter des salariés « parfaits ». Le
marketing permettra de développer des industries
dominantes de l’insignifiant. L’espionnage économique permettra des
concentrations de pouvoirs. Les enfants hyperactifs ou asociaux seront
identifiés à vie. Les dossiers médicaux, y compris ceux des ancêtres, ainsi que
les bulletins scolaires suivront toute une vie.
Il ne faut guère se faire d’illusion quant à l’utilisation
spontanément éthique de ces nouvelles technologies. Le goût du public pour les
réseaux sociaux indique une forme de servitude volontaire déjà mentionnée par Etienne de la Boétie
en 1574. Ceux-ci se développent sous
couvert de la sociabilité et permettent l’émergence des plus grosses fortunes
mondiales qui revendent les informations aux services des Etats et des grandes
entreprises.
+ Dans son roman « Orwell ou l’horreur de la politique », Simon Leys (écrivain belge
né en 1935) note : « Les
honnêtes gens ne disent rien car ils ne voient rien. Et ils ne voient rien, en
fin de compte, ce n’est pas faute d’avoir des yeux mais, précisément, faute
d’imagination. »
7.
Conclusion
Le monde s’est développé grâce au fait que les vérités ont
toujours été imparfaites. La vérité est faite pour être interrogée. La
plasticité est indispensable à la vérité.
Le consensus est-il indispensable ?
« Il faut savoir
douter où il faut, se soumettre où il faut, croire où il faut.» Blaise
Pascal.
« Trop ou trop peu de
vin interdit la vérité. » Blaise
Pascal
« Il n'est pas certain
que tout soit certain. » Blaise
Pascal
« La dernière démarche
de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la
surpasse. » Blaise Pascal
« La vérité est si
obscurcie en ces temps et le mensonge si établi, qu’à moins d’aimer la vérité,
on ne saurait la reconnaître. »
Blaise Pascal
Les dernières paroles Goethe (1749-1832)
ont été « Mehr Licht ! »,
« Davantage de lumière ! ».
La vérité est la condition de notre liberté et de notre
dignité.
Mais qui suis-je pour parler de la Vérité ?
ooooooooooooooooooooooooooooooooo
Propos entendus
+ La vérité se décline sous formes d’interrogations. Elle
avance par paliers.
+ Trois moyens de recherche de la vérité : hypothèse,
intuition, intime conviction.
+ Quelle est la différence entre le vrai et la vérité ?
Le vrai est fixe, la vérité est un mouvement de recherche.
+ De nouvelles informations sur le génocide du Rwanda après
1994 sont révélées cette semaine dans le
journal Marianne. Un participant du café philo rapporte un témoignage sur
l’implication de prêtres belges dans le massacre de civils lors de l’incendie
d’une église.
+ Aucune nation n’a pu se construire sans mensonge, selon Renan (1823-1892).
+ Citation de la pièce de Pirandello (1867-1936)
« A chacun sa vérité » (1916) : « Je suis ce que vous
voulez que je sois ».
+ La recherche de la vérité est politique. Elle est souvent détournée.
Par exemple les poncifs sur les pauvres qui seraient paresseux et fraudeurs.
+ L’Etat français ne reconnaît toujours pas sa
responsabilité, 57 ans après l’assassinat de Maurice Audin.
+ Les convictions sont parfois le plus important déni de la
vérité.
+ Il faut la vérité, c’est une question de civilisation.
+ Le type de vérité dépend du domaine : en science,
c’est la raison ; pour la justice, c’est la présomption, l’intime
conviction, la composition du jury.
+ En science on cherche l’efficacité, la validation. En
histoire, c’est l’opinion, l’exigence de justice.
+ L’enfant croit. L’adulte consent.
+ Seule la vérité rend libre.
+ Il y a des niveaux de vérité. Y-a- t-il une vérité
universelle ?
+ Le sentiment de vérité recule avec l’acquisition de
connaissances.
+ La vérité est thérapeutique, dans la psychanalyse, par
exemple.
+ Les dénis de vérité dans les familles sont souvent
dramatiques.
+ La psychogénéalogie
est une démarche analytique de l’influence transgénérationnelle d’événements
familiaux du passé.
+ La vérité passe par le langage.
+ Selon Machiavel
(1469-1527), il est normal que les souverains mentent aux citoyens.
+ En économie il existe des critères de vérité, contrairement
à la politique.
+ Dans une équipe médicale, tout le monde se rassemble
autour de la recherche de la vérité de la maladie.
+ Le philosophe allemand Martin
Heidegger (1889-1976) a renouvelé l'intérêt pour le concept d' Alètheia, la vérité en
grec (étymologiquement la négation de l’oubli).
+ Le fanatisme
repose sur la certitude de posséder la vérité. La vérité devient une idole.
+ Il faut cultiver
le doute.
+ Notre monde
change de plus en plus rapidement et les vérités aussi, d’où danger pour l’humanité
et l’éthique.
+ Trois sortes de
vérités : de raison, de fait, sociale.
+ Il est parfois
bon de la cacher.
+ Il faut beaucoup
d’erreurs pour arriver à la vérité, qui deviendra à nouveau erreur.
+Il est inutile de
chercher à réhabiliter Louis XVI.
+ Le savant a la
chance d’avoir des critères de vérité. L’homme d’action doit parfois décider
sans connaître toute la vérité.
+ La vérité est
limitée dans le temps et l’espace.
+ Le mensonge est
terrible et inacceptable dans l’entreprise.
+ La vérité sera
toujours gagnante.
+ La vérité engage
la responsabilité individuelle.
+ C’est un travail
de vigilance vis-à-vis des vérités révélées.
+ La vérité
concerne les domaines métaphysiques ou pratiques.
+ Je repars avec
beaucoup de questions et de doutes.
+ Je connais de
moins en moins de vérités.
+ Les hommes ne
peuvent vivre ensemble que s’ils ont des vérités communes.
+ La construction
du mensonge répond à certains intérêts.
+ Il faut distinguer
les vérités privées et publiques.
+ L’injustice a
besoin de mensonge.
+ La vérité est
nécessaire à la pérennité de l’espèce humaine. Elle fait émerger le consensus.
+ L’incertitude est
inhérente à l’observation.
+ Les enfants
aiment mentir. C’est l’éveil de l’autonomie et de l’intelligence...
+ La vérité est
toujours fluctuante. Les dogmes scientifiques évoluent.
+ Le mensonge n’est
pas un délit devant les tribunaux.
+ La vérité semble
en déclin par rapport à d’autres valeurs.
+ La vérité absolue
est dangereuse. C’est une recherche assidue et prudente. Il faut la liberté d’esprit
pour le dévoilement de la vérité.
ooooooooooooooooooooooooooooooooo
Poème d’Arlette Coutin
La Vérité
Dans la récolte de ma
vie
Je vais cueillir tous
les bons fruits
De mon arbre dans l'existence
Pour y chercher la quintessence
Que mes mots et actes
soient vrais
Portés dans un esprit de paix
A la source de vérité
Celle qui offre
liberté
Je ne veux toutefois
blesser
Au nom de ma réalité
Que j'exerce en
paroles et faits
Que si le but n'est pas mauvais
Le mal doit être
dénoncé
Dans un devoir d'humanité
En quête de véracité
Pour tous les hommes
en société
Dans le jardin de mes
valeurs
Je cultiverai le meilleur
Recherchant l'authenticité
Du grain de la
sincérité
ooooooooooooooooooooooooooooooooo
Poèmes de Jeannine Dion-Guérin
Tout mensonge détient sa vérité, *
Les biologistes,
selon un postulat propre
à l'exercice de leur métier, ponctuent
que toute conclusion
détient son contraire
et nous livrent ainsi une contemporaine
découverte sur la fécondation
Jadis par un féroce
pugilat
les spermatozoïdes
accédaient
à l'unique objet de leur amour
et le plus puissant
ou vindicatif se targuait
du fait de se montrer l'heureux gagnant
Depuis on a découvert
que
certains plus généreux font preuve
de solidarité
établissant une hiérarchie
qui recourt à la courte échelle
Vérité hier mensonge
le lendemain ...
Combien de fois la
Vie devra-t-elle
renoncer pour que s'impose
en pure perte le
supposé progrès
agitant cette planète éprise à l'infini
de vaines ou fausses subtilités ?
Jeannine Dion-Guérin
* Après l'émission
scientifique de France Inter: « La tête au carré»
ooo
Questions non résolues
Où s'envolent nos
non-dits,
blancs entachés de réticence ?
Vers quel horizon
d'absence?
De quels échos
se font-ils les
pèlerins
Et vers quel destin
épris de connivences?
Où se nichent nos
matins
feutrés d'innocence
De quels
faux-semblant
se montrent-ils témoins
Vérités d'un jour
Erreurs au-delà
Jeannine Dion-Guérin
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