mardi 13 mai 2014
L 'Europe en question(s), débat du 29 avril 2014
Compte rendu
de la soirée du 29 avril 2014 sur l 'Europe en question/ en questions
Avec débat
contradictoire.
Cette soirée
est organisée par le « groupe citoyens » de Bouffémont, en lien avec d'autres
associations comme Le chemin du philosophe, Vie nouvelle, Les amis de la vie,
Le Pacte civique, Solidarités nouvelles face au chômage. Cette rencontre a eu
lieu à Bouffémont le 29 avril 2014 et elle a réuni entre 170 et 180 personnes. Daniel
Croquette anime la soirée. Il propose d’abord une présentation diapo sur
l'histoire et le fonctionnement des institutions européennes, présentation très
claire et très précise. Daniel situe les deux protagonistes du débat : d'un
côté Jérôme Vignon, ancien membre du
cabinet de Jacques Delors quand ce dernier était ministre de l'économie et des
finances de François Mitterrand. Puis il devint
directeur à
la Commission européenne. Aujourd’hui il est Président des semaines sociales de
France. De l'autre côté Paul Thibaud,
philosophe, écrivain, et ancien directeur de la revue Esprit. Trois thèmes sont
abordés. Enfin les interlocuteurs répondent aux questions de l'assistance.
Les trois thèmes :
-Le traité de libre échange entre les Etats-unis
et l'Europe en cours de négociation
-L'Euro
-La question de l'Ukraine
Premier thème, le traité de libre
échange : dans un
premier temps Jérôme Vignon expose le problème : alors que les États unis sont
de plus en plus tournés vers l 'Asie (il y a un an et demi ils ont engagé des
négociations privilégiées avec 11 pays d'Asie du Sud est, sauf la Chine),
l'Europe tente de ne pas être distancée. C'est pourquoi depuis 2011, à la
demande en particulier de l’Allemagne et du Royaume Uni, elle essaie de
faciliter les échanges à deux niveaux essentiellement : rapprocher les normes
et les tarifs ; se mettre d'accord sur les investissements respectifs de part
et d'autre.
Paul Thibaud
formule trois objections :
1) Tout d'abord il regrette le côté global
de ces négociations : l'Europe est amenée à imposer des traités internationaux
« qui gouvernent au dessus des Etats ».
Il ne semble pas que le traité de Rome ait prévu cette éventualité.
2) Ensuite il regrette leur côté masqué et
très laborieux : les Américains veulent que les négociations restent secrètes.
Ils ne veulent pas affronter les opinions nationales et les réactions
populistes, au risque de mettre les Etats devant le fait accompli.
3) Une différence de situation entre
l'Europe et les États unis qui est avantageuse pour les Etats unis : dans ces
échanges il faudrait prendre en compte le cadre monétaire ; tandis que les Américains
sont libres par rapport à leur monnaie, les Européens sont prisonniers des
institutions monétaires.
A ces
critiques, J. Vignon rappelle que le Parlement européen aura son mot à dire ;
il pourra rejeter ou accepter la négociation. Il insiste aussi sur l'importance
qu'il y a à accroitre les échanges entre l'Europe et les Etats unis pour être à
la hauteur des défis du monde et dans la continuité de l'histoire. L'Europe fut
d'abord un marché commun ; elle doit le rester.
Deuxième thème, l'euro :
Paul Thibaud
constate que la zone Euro est « la zone la plus déprimée du monde » : déficits
nationaux considérables ; augmentation du chômage (25% en Espagne) ; diminution
des salaires dans certaines pays (20% en Espagne). Le philosophe doute que les
Etats puissent rembourser leurs énormes dettes. « C'est la substance de
l'Europe qu'on étouffe ». Ensuite P. Thibaud énonce deux objections assez générales
qui ne concernent pas seulement l'Euro : premièrement l'Europe a cru que
l'Union se faisait en uniformisant, en assimilant ce qui au départ constituait
la diversité des peuples. Mais l'unité n'existe pas à priori. On ne peut la
créer qu'à partir d'actions communes, politiques, industrielles, militaires.
Ensuite
deuxièmement, la démocratie en général a besoin de temps, d'avancées, de
retours, or l'Europe a voulu imposer des institutions définitives une fois pour
toutes.
J. Vignon
prône lui le maintien de l'Euro. L'Euro nous a apporté beaucoup plus que nous
ne le pensons. L'Europe a moins souffert que d'autres zones. Il est injuste
d'accuser l'Europe de toutes les difficultés. Les Etats s'exonèrent sur le dos
de l'Europe de leurs choix et finalement de leur déficit et de leur endettement.
Il reconnaît néanmoins que « les structures de l'euro ne sont pas bonnes"
; J. Delors l'aurait répété à plusieurs reprises. D'autre part, l'Euro groupe,
présidé par Mr Juncker, n'a pas été très efficace. Enfin, des décisions
importantes ont été prises au cours de la crise : union bancaire avec
surveillance des marchés ; mécanisme de stabilité européenne et possibilité de
l'intervention de la BCE. Mais il faut plus : il faut un exécutif en charge du
pilotage de l'Euro. Il faut un budget propre pour soutenir les pays en
difficulté. Il faut aller vers une intégration politique. Le dilemme c'est que
certains, dont il fait partie, préconisent de faire plus et d'autres comme P.
Thibaud refusent ce plus.
Troisième thème, l'Ukraine et la
politique étrangère de l'UE :
J. Vignon
rappelle l'historique : en 2006 l'UE prend conscience qu’après le grand
élargissement récent, de nombreux pays de l'ex-URSS risquent de postuler pour
entrer dans l'UE. Ce qui est jugé impossible. On met sur pied une « politique
européenne du voisinage ». En 2007 est proposé à l'Ukraine un « accord d'association
». C'est la possibilité de cette signature fin 2013 qui a mis le feu aux
poudres. La Russie de Poutine ne supporte pas que l'Ukraine puisse tomber dans
l'escarcelle européenne. J. Vignon réaffirme là encore que l'UE a mal
travaillé, elle a sous estimé la réaction Russe.
P. Thibaud
approuve l'analyse de J. Vignon et il s'emporte sur ce qu'il appelle le défaut
profond de l'Europe, son narcissisme, le sentiment de sa supériorité. La crise
Ukrainienne est révélatrice. L'Europe n'a pas de politique extérieure, ni à
l'égard des anciens pays du bloc communiste, ni à l'égard de l'Afrique, ni du
Maghreb...
Une fois ces
trois thèmes abordés, les intervenants ont répondu à beaucoup de questions. L’assistance est très mobilisée, toutes
les questions ne pourront malheureusement pas être posées; voici quelques prises
de positions échangées entre eux.
-Paul
Thibaud regrette qu’il n’y ait pas une évaluation des méthodes et des résultats
en Europe. Ce que l’Europe nous a apporté et ce qu’elle nous a coûté. Pas assez
de réflexion critique. L’Europe ne traite pas les peuples comme des entités
libres. Une fois que les gouvernements nationaux ont cédé, c’est ad vitam
æternam.
La diversité
des nations n’est pas assez respectée. P. Thibaud pourfend « cette Europe de la
résignation",
une Europe négative qui impose plus de contraintes qu’elle ne suscite des
initiatives.
-J. Vignon
répond que la construction européenne a été et reste progressive. Que chaque nation
fait ses choix et reste son propre décideur : « rien ne se passe à Bruxelles
qui n’ait été voté ». Mais cela n’est pas clair pour les européens que nous
sommes. En accord avec P. Thibaud, J. Vignon
regrette que les télévisions ne diffusent quasiment jamais de débats au
Parlement européen, que les hommes politiques français parlent très rarement de
l’Europe, comme si, remarque P. Thibaud, le personnel politique national
ressentait l’Europe comme une rivale qui risquerait de signer à terme sa propre
mort.
-D’ailleurs
les Français semblent manquer de confiance envers les députés européens et les
technocrates de Bruxelles. Pourtant ces derniers doivent rendre des comptes de
leurs actions, et il est arrivé que des individus incompétents soient remerciés
et renvoyés.
Enfin chacun
à leur tour, P. Thibaud et J. Vignon reviennent sur les origines de l’Europe.
C’est une histoire très ancienne, déjà dans le testament de Sully du temps
d’Henri IV, on trouve trace de cette grande idée. Nombreux, philosophes et
hommes de lettres à l’époque des Lumières au 18ème siècle, ont anticipé de
projet : Rousseau, Voltaire, L’Abbé de Saint Pierre, Kant, V. Hugo au 19ème
sont des précurseurs.
En 1945 au sortir
de la guerre s’impose l’idée qu’il ne faut pas répéter les erreurs du passé et
retomber dans les sempiternels conflits armés.
Conclusion :
Finalement
il est assez remarquable que nos deux intervenants aient pu dialoguer en se
respectant sans jamais renier leurs convictions, sans taire leur désaccord,
dans une grande courtoisie. Cela a beaucoup impressionné l’auditoire.
P. Thibaud
voudrait sauvegarder une Europe des nations. J. Vignon n’a pas peur de
l’intégration politique; tout en soulignant les obstacles, les difficultés, ils
ont réussi chacun à nous faire aimer l’Europe pendant cette soirée.
Merci
infiniment à eux et à tous ceux qui se sont déplacés pour les écouter. Les
échos de cette soirée sont très positifs.
Catherine
Delaunay
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire