lundi 1 juillet 2013
Compte rendu du café philo du vendredi 28 juin 2013
Nous étions quelque 25 personnes à participer à ce café
philo au centre culturel de Bouffémont (Val d’Oise) sur le thème : "J’aime mieux être un homme à
paradoxes qu'un homme à préjugés." (Jean-Jacques Rousseau, L'Emile,
Livre II).
Les sujets des prochains cafés philo ont été votés :
Vendredi 27 septembre 2013 : « L’égalité, un mythe
ou une réalité ? »
Vendredi 25 octobre 2013 : « Le corps est-il un
instrument ou un obstacle pour notre liberté ? »
Vendredi 29 novembre 2013 : « Interprète-t-on à
défaut de connaître ? »
-o-
Résumé
La philosophie a toujours dénoncé les préjugés. Rousseau ne
déroge pas à la tradition lorsqu’il affirme dans son traité sur l’éducation
« Emile » : « J’aime mieux être un homme à paradoxes qu'un
homme à préjugés ». Certes les préjugés sont des idées préconçues, la
plupart du temps erronées mais pourquoi leur préférer les paradoxes aussi
incertains et contraires à l’opinion commune ? Est-ce parce que le paradoxe
incite l’esprit à la réflexion tandis que le préjugé le sclérose ? Est-ce
pour d’autres raisons ? Rousseau a-t-il d’ailleurs raison ?
-o-
Pierre Haller
Les paradoxes avoués de J.J.
Rousseau
J.-J. Rousseau avoue ses paradoxes pour montrer sa bonne
foi : « Pardonnez-moi mes
paradoxes: il en faut faire quand on réfléchit; et quoi que vous puissiez dire,
j'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés », écrit-il
dans L'Emile, Livre II.
-
Il donne des conseils sur la manière d'éduquer
les enfants, dans l'Emile notamment, en se faisant l'apôtre de la famille et il
abandonne ses propres enfants, les confiant à l'hospice des Enfants-Trouvés,
dans l’intérêt de ces enfants, semble-t-il.
-
Il se présente souvent comme le meilleur des
hommes en avouant aussi ses travers. Il relate, dans les Confessions, la
pénible affaire du ruban volé. Il a accusée du larcin, dont il était lui-même
l'auteur, une malheureuse servante, Marion, qui fut chassée.
-
Il s'accuse lui-même d'avoir été un adolescent
exhibitionniste : "Mon agitation
crût au point que, ne pouvant contenter mes désirs, je les attisais par les
plus extravagantes manœuvres. J'allais chercher des allées sombres, des réduits
cachés, où je pusse m'exposer de loin aux personnes du sexe dans l'état où
j'aurais voulu être auprès d'elles. Ce qu'elles voyaient n'était pas l'objet
obscène, je n'y songeais même pas ; c'était l'objet ridicule. Le sot plaisir
que j'avais de l'étaler à leurs yeux ne peut se décrire."
-
Il écrit dans l'Emile : "La lecture est le fléau de l'enfance."
-
Il décrit dans les Confessions la sensualité
d’être fessé par le pasteur Lambercier et sa sœur. Il découvre "dans la douleur, dans la honte même, un
mélange de sensualité qui [lui] avait laissé plus de désir que de crainte de
l'éprouver derechef par la même main".
-
Ses premières étreintes sexuelles à 20 ans avec
"Maman" eurent pour lui un arrière-goût d'inceste (Mme de Warens était
de six ans son aînée).
-
Monté à Paris, il intrigue sans grand succès
pour se faire une place. Engagé quelque
temps comme secrétaire privé de l'ambassadeur de France à Venise, il
joue les importants et se fait passer pour un personnage officiel.
-
Rousseau musicien se heurte à Jean-François
Rameau qui l'accuse de plagiat et le traite de "petit pillard sans talent et sans goût".
-
Rousseau se perd à mesure qu'il progresse dans
le grand monde. Il est travaillé par un
divorce intérieur qui le pousse à convoiter une place dans un monde du luxe et
de la luxure qu'en même temps il méprise.
-
Célébrant de l’ordre naturel et contempteur de
l’ordre social, il est largement dépendant de ses bienfaiteurs et bienfaitrices
aristocratiques.
-
Marie-Thérèse
Le Vasseur, illettrée, a été pendant plus de trente ans sa servante, sa
maîtresse et sa femme en marge du grand monde qu’il fréquentait.
La fin de sa vie est le moment de la paix et de la
réconciliation avec soi et avec la nature : "un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y
reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de
rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour
elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune
trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance,
de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre
existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière".
Rousseau avait consacré sa vie à la vérité du cœur- (« vitam impendere vero », « vouer sa
vie au vrai », était sa devise).
Le champ
sémantique du paradoxe
Contradiction, ambiguïté, injonction contradictoire,
yin-yang, tiers inclus, conflit d’intérêts, complexité (non-linéarité),
compromis, imprédictibilité, indécidabilité, aporie (contradiction insoluble
dans un raisonnement), bizarrerie, singularité.
Définition
Un paradoxe est une proposition allant à première vue contre
le sens commun.
Le paradoxe est un puissant stimulant pour la réflexion. Il
nous révèle la complexité de la réalité ainsi que les faiblesses de l'esprit
humain et les limites de certains outils conceptuels. C'est ainsi que des
paradoxes basés sur des concepts simples, voire sur des prémisses erronées, ont
permis de faire des découvertes dans les sciences ou en philosophie.
Les énoncés de paradoxes se comptent par dizaines dans les
articles consacrés au sujet sur internet. Certains sont historiques et familiers,
d’autres plus complexes. Certains ont trouvé des solutions d’autres le
resteront à jamais.
Les paradoxes
classiques
-
Les paradoxes de
Zénon d’Elée (-480 à -420) comme le Paradoxe d'Achille et de la tortue
(Achille n’arriverait jamais à dépasser la tortue plus lente que lui), contesté
déjà par Aristote, ne trouve sa solution
que grâce aux mathématiques à partir du 17ème siècle disant qu'une
série infinie de nombres strictement positifs peut converger vers un résultat
fini.
-
Le paradoxe du menteur
d’Epiménide le
Crétois (- 5ème siècle)
« le Crétois dit que tous les Crétois sont des menteurs ». Cette
phrase réalise une action du fait de son énonciation, c'est une contradiction
performative.
-
Le
paradoxe de l’œuf et de la poule. Aucune réponse entièrement satisfaisante
n’a été trouvée à la question « qui est premier, l’œuf ou la
poule ? » « La poule est seulement un moyen pour l’œuf de faire un
autre œuf », pourrait-on également dire.
-
Le paradoxe de
Condorcet si la majorité votante préfère le A à B, puis B à C , elle peut
très bien préférer C à A.
-
Le doute de Descartes (1596-1650)
«...
que je connaisse comme certain que justement il n'y a rien de certain.
» (Seconde Méditations métaphysiques). Cette affirmation paradoxale est à
rapprocher de celle de Socrate : « Je
sais que je na sais rien. »
-
Paradoxe du gruyère
Plus il y a de fromage, plus il y a de trous ;
or plus il y a de trous, moins il y a de fromage ;
donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage.
Les paradoxes
scientifiques du 20ème siècle
Il s’agit essentiellement d’expériences de pensée souvent
difficile à comprendre pour les non spécialistes.
-
Le paradoxe EPR,
abréviation de Einstein-Podolsky-Rosen, est issu de la théorie quantique et
notamment du principe d’indétermination de Heisenberg qui interdit de connaître
simultanément la valeur précise de deux quantités physiques dites incompatibles
(typiquement, la vitesse et la position d'une particule). Il en découle que deux
particules séparées à grande distance dans l’espace puissent être intriquées,
c’est-à dire s’influencer mutuellement et se comporter comme s’il s’agissait
d’un objet unique.
-
Le paradoxe du chat de Schrödinger, la mécanique quantique
indique que, tant que l'observation n'est pas faite, l'atome peut se trouver simultanément
dans deux états (intact ou désintégré). L’analogie est faite avec un chat
enfermé dans une boite. Il est mort ou vivant selon qu’il a subit ou non les
effets d’un poison déclenché par la désintégration d’un atome. Tant qu’on n’a
pas ouvert la boite, le chat serait vivant et/ou mort.
-
Le paradoxe de
Russel : « l'ensemble des
ensembles n'appartenant pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ? »
ou le paradoxe du « barbier
qui rase tous les hommes qui ne se rasent pas, se rase-t-il
lui-même ? »
Pour Gödel, il existe des problèmes
indécidables pour l'humain, ce qui signifie que « les propriétés mathématiques
qui nous échappent ont une existence autonome »
La logique classique du tiers exclu
considère qu’une chose est ou n’est pas. Le philosophe Stéphane Lupasco
(1900-1988) a développé le principe du tiers inclus qui fonde la dynamique des
systèmes. Tout système comporte une dualité “contradictoire”. Par exemple, si
seule l’attraction se réalisait dans un système, celui-ci s’effondrerait sur
lui-même, si seule la répulsion existait, il exploserait, Selon Edgar Morin
(né en 1921), le tiers inclus est à l’œuvre dans tout système complexe, il est
inséparable du principe dialogique. Cela veut dire que l’identité comporte en
soi son propre antagonisme, sa propre multiplicité: « je suis moi et je ne suis pas moi », « je est un autre ».
« Il
faut alors faire avec la contradiction, penser avec/contre elle. La
contradiction nous invite à la pensée complexe. C’est pourquoi, je me sens plus
proche d’Héraclite, lorsqu’il dit: « vivre de mort et mourir de vie ». Il ne
dit pas que la vie et la mort sont dépassées. En fait, la vie est prise dans
une interaction dialogique permanente, dans un antagonisme irréductible et, en
même temps, dans une complémentarité avec la mort, la destruction, la
corruption. » La pensée complexe : Antidote pour les pensées uniques, Entretien
avec Edgar Morin.
-
La théorie cosmologique standard de l’univers
stipule l’existence d’un big bang comme le moment où le temps a commencé à
exister. Notre esprit peut se poser la question : qu’y avait-il avant le
temps ?
-
La théorie standard de la matière stipule que
celle-ci émerge des fluctuations du vide qui n’est pas vide.
D’autres types de
paradoxes
-
Les paradoxes sorites. « A
partir de combien de grains de sable, ceux-ci forment-ils un
tas ? » ; « si une chose est vraie ici, et fausse là, où
est la limite ? » ; « c’est quoi les limites d’une
race ? » ; « jusqu’où sommes-nous
responsables ? » ; « où sont les frontières de la vie ? »
Pour Hegel
(1770-1831), l'argument du sorite permet de montrer comment la qualité peut
transformer la quantité, et réciproquement.
La technologie moderne a développé des instruments
fonctionnant sur la base de logique
floue qui considère des états de système avec une certaine probabilité
(c’est un tas de sable ou pas avec certaine probabilité). Celle-ci fonctionne
pour des robots ou des systèmes de régulation de processus industriels
complexes comme des raffineries de pétrole, les systèmes experts, la
reconnaissance informatique des formes, etc.
La notion
d’ordre émergeant, différent de la somme des ordres élémentaires, à partir
de l’interaction d’une multiplicité d’éléments a pris sa place dans les
sciences modernes (physique, chimie, biologie, neurosciences, sociologie)
-
Les
paradoxes psychologiques
+ L’individu peut produire ou être soumis à
des paradoxes d’ordre psychologiques. Le langage paradoxal dit une chose et son
contraire, ou bien il met en contradiction la parole et les actes ou les
attitudes.
+ Les injonctions contradictoires, les
doubles contraintes, les dilemmes conduisent à des situations inextricables
parfois dramatiques pour les individus et les groupes. Les exemples sont
multiples dans la vie amoureuse, familiale, professionnelle, politique,
historique.
+ Les travaux initiés par Gregory
Bateson (1904-1980) de l'école Palo Alto sont une étude collective sur le
« paradoxe de l'abstraction dans la communication ». Débuté en 1952, elle réalisa une
théorisation des mécanismes de la schizophrénie,
qui sont présentés comme une adaptation à un contexte paradoxal. Elle développe
l'idée que la maladie mentale puisse être un mode d'adaptation à un contexte
extérieur qui contiendrait l'élément pathologique. C'est le principe fondateur
de la thérapie familiale qui s'attache à soigner cette
pathologie relationnelle directement plutôt que l'effet induit sur un individu
en particulier.
+ Il semble paradoxal que certaines
personnes ayant subi des traumatismes ou des agressions finissent par tourner
l’agressivité contre elles-mêmes par des replis dans la maladie, des
comportements asociaux, voire par le suicide.
+ Les stratégies des victimes de contextes
paradoxaux sont multiples la fuite, la violence, la maladie. Leurs souffrances
ont tendance à s’auto-entretenir.
Pour les résoudre les paradoxes,, il
convient de sortir du contexte, pour produire une « méta-analyse » des situations. Parfois il faut agir ou
non agir sachant qu’on fera mal quelque part. Choisir le moindre mal. Accepter
l’ambiguïté. « On ne sort de l'ambiguïté
qu'à son détriment. » Cardinal
de Retz (1613-1679).
+ Certains pervers, individus ou systèmes
managériaux, infligent des injonctions contradictoires aux personnes, par
sadisme ou par simple exercice du pouvoir
afin de s’assurer leur soumission.
+ L’apparence n’est qu’une partie de la
réalité
-
Les
paradoxes sociétaux, artistiques ou philosophiques
+ Les intérêts collectifs et individuels ne
sont pas toujours compatibles, en tout cas pas aux mêmes échelles de temps.
+ Les principes de liberté d’égalité et
fraternité, par exemple, rencontrent des limites naturelles et des exceptions.
Ce sont des idéaux devant orienter les comportements. On peut parler
d’incomplétude et de non-linéarité des idéaux.
+ Les modes vestimentaires ou
comportementales nous incitent à être différents et semblables à la fois.
+ Le communautarisme est censé protéger ses
ressortissants, mais souvent il entraine les identités minoritaires dans le
renforcement de l’ostracisme dont elles sont victimes. Les individus subissent
l’ostracisme mais leur communauté en bénéficie.
Les identités sociales se fondent encore
souvent sur l’existence d’ennemis. Certaines injonctions culturelles visent à
maintenir la tension entre les groupes.
+ La séduction amoureuse et le désir sont
fondamentalement ambigus. (« Vorrei
e non verrei », « Je veux et ne veux pas céder à la
séduction », chante Zerline dans Don Giovanni).
+ Le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) a
analysé le désenchantement du monde
allant vers toujours plus de rationalité et de laïcité et il constate que cette
rationalité se retourne en son contraire
en « un habitacle dur comme de
l’acier ». La raison est
poison et remède.
A propos du chef charismatique prenant le
pouvoir, il note également ses dérives tyranniques comme le confirme l’histoire
récurrente de l’humanité.
Dans le domaine des rapports humains il
note que « l’érotisme est à la fois
désir de domination de l’autre et volonté de beauté et d’harmonie ».
+ L’art
est un mensonge qui dit vrai. Jean Cocteau (1889-1983)
: « L’œuvre d’art est un mensonge
qui dit toujours la vérité. » Martin Heidegger (1889-1976)
: « L’art ne peut dévoiler qu’en
voilant. » Emmanuel
Kant (1724-1804) : « Le
jugement esthétique est subjectif et universel. » Vladimir
Jankélévitch (1903-1985) : « L’art
est une représentation de l’irreprésentable. » Friedrich Nietzsche (1844-1900)
: « La poésie voit l’invisible, sent
le non-sensible. »
+ Jean-Paul Sartre (1905-1980)
: « La liberté préesquisse
l’adversité en général ».
-
Les
paradoxes politiques, économiques ou religieux.
+ Si tu veux la paix, prépare la guerre.
+ Il n’y a pas de guerre, même juste, sans
barbarie.
+ La dissuasion nucléaire, serait un échec
si on mettait l’arme nucléaire en service.
+ La plupart des grandes barbaries de
l’histoire ont été commises au nom de valeurs civilisationnelles.
+ Il n’y a pas d’ordre sans force et abus
de la force.
+ Pour Obama, il faut faire des « compromis
entre sécurité et vie privée ». (Le Monde du 08/07/2013). Les Etats-Unis
se sont dotés de moyens informatiques de stockages et de traitement d’un
siècle de communications mondiales (5.1021 octets = 250
milliards de DVD). Même en démocratie, en général, l’opinion publique préfère
la sécurité à la liberté.
+ Depuis la nuit des temps les Etats
passent par des phases de paranoïa en s’inventant ou en cultivant des ennemis. Cet
entretien des inimitiés, dont les petites gens sont les jouets et font
essentiellement les frais, profite à de puissants lobbies de tous bords.
+ La non-linéarité et la complexité des
mécanismes économiques conduit à des résultats contraires aux objectifs
recherchés. Jusqu’où faut-il être économe ?
+ Certaines populations ancestrales
pratiquent le potlatch en détruisant régulièrement leurs biens.
+ Le mal, le malheur, les catastrophes
naturelles sont dans une certaine mesure bons pour l’économie et son PIB. La
lutte contre le mal fait vivre beaucoup de monde et souvent tue plus que le mal
lui-même.
+ Les croyances religieuses échappent
souvent à la raison.
+ Un kōan est une courte phrase ou une brève anecdote absurde, énigmatique
ou paradoxale, ne sollicitant pas la logique ordinaire, utilisée dans certaines
écoles du bouddhisme chan ou zen. Le kōan est un objet de méditation qui serait
susceptible de produire le Satori ou encore de permettre le discernement entre l'éveil
et l’égarement. Exemples : « Quel est le son d'une seule main qui
applaudit ? » ; Un moine demanda à Tung Shan : « Qu'est ce que Bouddha ? »
Tung Shan répondit : « Trois livres de lin. »
-
Les
paradoxes biologiques
+ Le comportement collectif suicidaire des
lemmings.
+ Les mutations aléatoires et parfois
pathologiques du génome dans la quête de l’optimum.
+ La nature semble sans cesse rechercher à
la fois la diversification et l’homogénéisation des espèces.
+ Certaines mutations viables ou organes
semblent ne servir à rien (structures vestigiales,
pseudogènes
autrefois appelés gènes-poubelles) voire constituer des handicaps.
Ces paradoxes ne sont souvent qu’apparents
et indiquent notre ignorance des mécanismes profonds à l’œuvre.
Les préjugés
+ Le préjugé est une hypothèse devenue vérité sans
vérification ; il fonde des identités sociales, il fonde les dogmes.
+ Les préjugés sont les convictions irrationnelles des
autres. Pour qualifier un préjugé auquel on adhère soi-même, on parle
d’évidence, de vérité fondamentale, de principe acquis, etc.
+ Selon le philosophe Alain Badiou (né en 1937)
dans ses séminaires :
« Qu'est-ce qu'un préjugé ? Un
préjugé - un pré-jugé - c'est un jugement qui n'a pas été lui-même jugé. En ce
sens, le combat contre le préjugé c'est l'affirmation que tout jugement doit
être jugé. Il doit comparaître ... devant quoi ? Devant le paradoxe
justement ».
Le philosophe s’interroge aussi sur le discours autorisé, c'est-à-dire d'un discours qui n'aurait pas à
légitimer les jugements qu'il prononce : discours du prêtre, discours du roi
et, en dernier ressort, discours de Dieu. On peut remarquer ici qu'en
philosophie il n'y a pas d'hérésies. L’hérésie est le propre d’une discursivité
étatico-religieuse.
+ Le préjugé constitue une paresse intellectuelle
simplificatrice basée souvent sur le fait
de prendre le particulier pour le tout, comme dans le cas du racisme. Le
préjugé se dote de filtres qui sélectionnent les informations allant dans son
sens et éliminant les autres.
+ Un préjugé collectif nait généralement d'un impératif de
cohésion sociale ou de survie, dans un contexte historique particulier. Il se
transmet ensuite par apprentissage et tend à se fondre dans l'arrière-plan
culturel d’un groupe, de sorte qu'il devient difficile de s'en affranchir, même
lorsque son existence n'a plus aucun rapport avec la situation. L'accumulation
des préjugés, élément essentiel de la culture d'une société, a donc aussi pour
effet de diminuer les facultés d'adaptation au changement. C'est un facteur de
rigidité et de vieillissement des sociétés. Le préjugé, censé initialement être
un facteur de cohésion au sein d'une société traditionnelle, devient facteur
d'exclusion ou d'explosion dans une société multi-culturelle.
+ Les préjugés sont inscrits dans les stéréotypes du langage
collectif ou individuel, sous formes d’expressions toutes faites, d’aphorismes,
de proverbes ou de croyances. C’est la responsabilité de chacun de prendre sa
liberté par rapport aux limitations imposées par ces stéréotypes.
+ L’inflation par la disponibilité et la diffusion de
l’information, que permet Internet, autorisent
tout esprit motivé et partisan à faire des associations entre des éléments
disparates. Les arguments de soupçons sont beaucoup plus aisés à produire et
rapide à diffuser que ceux qui permettent de renouer la confiance nécessaire à
la vie en démocratie, ainsi que le montrent les récents scandales. « Le scandale révèle l’atmosphère
irrespirable que favorise le déluge informationnel. » selon le
sociologue Gérald
Bronner (né en 1969), Le Monde 7-8/04/2013. « Que cache l’affaire
Cahuzac ? »
+ Effet halo en positif et en négatif des préjugés. En 1960
l’Allemand Grundig passait pour le meilleur constructeur d’électrophones, alors
qu’il n’en fabriquait pas.
+ Il semble nécessaire pour vivre de s'appuyer au moins un
temps sur les préjugés. L'enfant ne peut faire l'économie de préjugés alors que
la faculté de juger est en cours de formation. On juge ainsi nécessairement à
partir de préjugés. Toutefois la lutte contre les préjugés est nécessaire car
elle est constitutive du jugement. C’est le paradoxe des préjugés.
+ Toute connaissance du monde prend nécessairement appui sur
un a priori, notamment la confiance accordée, au moins provisoirement, à une
parole magistrale. En l'absence de préjugés sur le monde on ne peut rien
apprendre sur le monde. Les grands programmes scientifiques fort dispendieux
(LHC, génomique, etc.) s’appuient sur des hypothèses et des préjugés que l’on
essaie de démontrer.
+ L'abolition des préjugés ne serait rien d'autre, en
réalité, que le ralliement à un système commun de préjugés.
+ Il faut des
préjugés pour lutter contre eux.
Paradoxe versus
préjugé
+ Selon J.-J. Rousseau l’homme naitrait naturellement bon et
c’est la société qui le pervertirait. Il s’agit là d’un préjugé, car dans les
faits, la société contribue également et paradoxalement à civiliser les êtres.
+ Dans le domaine moral, le paradoxe et le préjugé sont deux
défauts, deux excès par rapport à l’honnêteté intellectuelle.
+ Plusieurs grands auteurs se sont vus accusés de
comportements paradoxaux et empreints de préjugés : Gide et l’URSS, Céline
et l’antisémitisme, Sartre et Mao, Heidegger et le nazisme
+ Lyssenko
(1898-1976) pour la génétique marxiste, Gobineau (1816-1882)
pour les théories raciales, Milton Friedman
(1912-2006) pour l’ultralibéralisme économique et la financiarisation du monde,
sont des exemples de pensées scientifiques au service de préjugés idéologiques.
+ Tartufferie moderne. « Un
bobo c’est entre autre un hypocrite qui donne des leçons aux autres mais ne se
les applique pas. C’est celui qui va venir vous faire de grands discours sur la
mixité sociale dans les écoles, mais fera tout pour que ses enfants n’aillent
pas dans une de ces établissements très mixtes socialement. » Rue 89
+ La corrélation ne
démontre pas la causalité. L’épidémiologie
se confronte au problème des faibles occurrences, des faibles doses, des
effets à long terme ou des effets de synergie. Il est difficile de prouver les
effets de certains perturbateurs à faibles doses (chimiques, radiologiques, électromagnétiques,
stress) sur la santé publique. Les controversent sont souvent alimentées autant par les lobbies
professionnels que par des activistes idéologisés.
-o-
Propos notés
-
Pour Rousseau, il faut laisser mûrir l’enfant
dans l’enfance. Il faut savoir perdre du temps. Il faut forcer les gens à être
libres. Le préjugé est toujours faux. Le paradoxe est le chemin vers la vérité.
-
Les philosophes sceptiques de l’antiquité
grecque ont posé le problème de la connaissance de la vérité. La raison ne peut
pas tout démontrer car elle se réfère à elle-même.
-
Pour Kant, il arrive à la raison de se
contredire. Il existe des énoncés démontrables et contradictoires. Kant parle
d’antinomie.
-
Les préjugés sont des évidences qui rassurent,
tandis que les paradoxes questionnent et insécurisent. Les préjugés reposent
sur des sentiments et sont de l’ordre de la passivité, du collectif sur
un fonds d’idéologie ; les paradoxes incitent au raisonnement actif de
l’individu.
-o-
-
Le préjugé sert de référentiel.
-
Comment différencier les préjugés identifiés et
les non-identifiés ? Par la confrontation, l’esprit critique, la science,
le doute.
-
Exemples de préjugés longtemps non identifiés
dans le passé : infériorité de certaines races, absence de douleur chez
les bébés, absence d’intelligence, de sentiments et de douleur chez les animaux,
suprématie de la culture occidentale, droit des humains sur la nature.
-
Celui qui a le pouvoir dit ce qui est préjugé.
-
Le paradoxe est l’affrontement des préjugés.
-
Les paradoxes scientifiques, logiques et de
langages sont de natures différentes.
-
Dans les entreprises actuellement, le management
invoque le maintien du « cœur de métier » pour justifie la
délocalisation de multiples activités.
-
Certain préjugés scientifiques ont été
entretenus avec des intentions éthiques et néanmoins commerciales,
exemple : le décryptage du génome.
-
L’espace est un préjugé. Le temps est un
paradoxe.
-
Pour Saint-Augustin, le passé est révolu, le
futur n’existe pas encore et le présent est déjà dépassé.
-
L’humour et la caricature permettent de mettre
en évidence les préjugés.
-
En géologie, les récits mythiques des déluges
ont historiquement servi à expliquer les stratifications des couches
géologiques.
-
L’action à distance des forces de gravitation
parait paradoxale.
-
Un préjugé devient vérité lorsqu’il est
majoritaire. Il peut s’imposer par la manipulation des esprits ou la terreur.
-
Selon Marcel Proust, les paradoxes
d’aujourd’hui, seront les préjugés de demain.
-
La raison doit servir à résoudre les paradoxes
et à modifier les modes de raisonnement.
-
L’écoute sert à vaincre les préjugés. Il faut
donner du temps au temps pour l’écoute.
-
L’important c’est la confrontation.
-
La Justice devrait juger sans préjugés.
-
Il y a des préjugés meilleurs que d’autres.
-
Le compromis est-il de la lâcheté ?
-
Il faut toujours peser le pour et le contre.
-
Le paradoxe permet de se libérer du préjugé,
mais ça ne marche pas pour l’art.
-
Il y a des préjugés individuels et collectifs.
-
JJ Rousseau est imprudent et manque d’humilité.
-
Il y a des intérêts économiques derrières
certains préjugés.
-
L’éducation est importante pour vaincre les
préjugés.
-
Quoi qu’on en dise les jeunes communiquent
encore normalement, sans Internet ni portable.
-
Le préjugé existe c’est un fait. Il faut
apprendre à faire le tri.
-
Il faut réguler les excès des préjugés et des
paradoxes. La prise de hauteur, le métalangage, la sortie du système de
référence, voire la transcendance contribuent à cette régulation.
-o-
Citations
"Beaucoup de gens croient qu'ils pensent alors qu'ils
remettent seulement en ordre leurs préjugés." William James
"Il est plus difficile de détruire un préjugé qu’un
atome." Albert Einstein
"Donnez-moi un préjugé, et j’ébranlerai le monde."
Gabriel García Márquez
"Les préjugés sont les ennemis du bon sens"
I-Robot
"Il existe un curieux paradoxe : quand je m'accepte tel
que je suis, alors je peux changer."
Sénèque
"La découverte comique énonce le paradoxe, la
découverte scientifique le résout."
Arthur Koestler
"Le paradoxe, c'est le nom que les imbéciles donnent à
la vérité."
Paul Valéry
"Le paradoxe de la condition humaine, c'est qu'on ne
peut devenir soi-même que sous l'influence des autres."
Gaston Bachelard
"Le paradoxe de l'amour réside en ce que deux êtres
deviennent un et cependant restent deux."
Erich Fromm
"Qu'est-ce qu'un paradoxe, sinon une vérité opposée aux
préjugés du vulgaire."
Denis Diderot
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