Voici la contribution au café philo du 13 octobre 2013 sur la normalité de Fabrice Pissot, chef de service à l’IME (Institut Médico-Educatif) de l’APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés) d’Ermont.
mardi 20 novembre 2012
Le Handicap, texte de Fabrice Pissot
Voici la contribution au café philo du 13 octobre 2013 sur la normalité de Fabrice Pissot, chef de service à l’IME (Institut Médico-Educatif) de l’APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés) d’Ermont.
Présentation
Dans les 3 types de
normalité, sociale, idéale et comme absence de maladie, c’est de la 3ème dont je peux vous parler. « Il
y a des stigmates sacrés qui frappent les mystiques. Il y a des stigmates que
laissent la maladie ou l’accident, il y a les stigmates de l’alcoolisme et ceux
qu infligent l’emploi des
drogues. Il y a la peau du Noir, l’étoile du Juif, les façons de l’homosexuel… » .
(extrait du livre « Stigmate » de Erving Goffman, éditions De
Minuit).
« La question du
handicap est l’une des grandes interrogations posées à notre société. Elle se
traduit en termes de regard sur l’autre, mais aussi en termes de responsabilité
envers l’autre. Le handicap ne laisse personne indifférent, car il est le
rappel d’une inquiétante étrangeté blottie en chacun d’entre nous. Il nous
interpelle quant à notre nature d’être humains, il souligne le lien social que
nous acceptons d’établir avec celui qui est différent de nous (ou que nous
pensons différent). Sous les concepts couramment utilisés de rééducation, de
réadaptation et même d’intégration se dissimule bien souvent un impérialisme de
la normalité qui laisse trop peu de place au droit à la différence des
personnes concernées ». (extrait du livre « Ethique et handicap"
de Pierre Ancet et Noêl-Jean Mazen – éditions 2011, les chemins de l’éthique).
Pour ce qui concerne les jeunes de l’IME,
c’est la pathologie qui a provoqué une anormalité dans le développement des
enfants.
Les étiologies son très
variées.
Elles émanent de problématiques génétiques, de maladies contractées par la mère pendant la
grossesse ou par le bébé au cours de ses premiers mois.
Les conséquences ont
entraînées un handicap plus ou moins important selon les personnes.
*Il me semble intéressant de
faire un rappel sur l’étymologie du mot « Hand in Cap » qui, en
traduction littérale signifie : « La main dans le chapeau ».
A l’origine, il s’agissait de
ceux qui étaient hors norme car leurs performances dépassaient celles des
autres. C’était pour retrouver la notion d’égalité des chances.
En effet, sur les champs de
course, handicaper un concurrent plus fort que les autres, c’est diminuer ses
chances de succès en le chargeant d’un poids supplémentaire ou en l’obligeant à
parcourir une distance plus longue pour égaliser les chances de tous les
participants.
Ainsi la course étant
incertaine, autant mettre les noms des concurrents au fond d’un chapeau et de
tirer au sort le nom du vainqueur d’une main « innocente ».
Les termes de
« handicap » ou de « personnes handicapées » ont progressivement
remplacé les termes : infirme, invalide, paralytique, mutilé, débile,
idiot qui portaient des notions péjoratives ou dévalorisantes.
Par conséquent, le terme
« handicap » est maintenant utilisé dans tous les domaines et revêt l’idée d’un désavantage, qu’il soit social,
économique, physique… .
Définition du handicap
selon Wood OMS 1980
« Est handicapé un sujet
dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement
diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou
d’un accident en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou
à occuper un emploi s’en trouve compromise ».
Dans la loi du 11 février
2005, pour l’égalité des droits et des
chances et la participation citoyenne des personnes handicapées. On retrouve la
notion de remise à niveau d’un écart entre les individus du fait de leur
déficit ou limitation :
« Constitue un handicap,
toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société
subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération
substantielle durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychique d’un poly handicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
Dans notre esprit, en
général, quand on parle d’une personne handicapée, on se réfère implicitement à
une norme qui reflète la moyenne des individus dans notre société.
Normalement, on marche, on
voit, on entend, on parle, on se comprend… .
Mais la normalité dans le
sens commun, c’est aussi et surtout la bonne santé.
Donc, on a tendance à considérer que si on est en mauvaise santé,
c’est être anormal et par conséquent handicapé par la maladie.
D’ailleurs, les théoriciens
ont commencé par étudier les composantes de la santé pour mieux définir les
handicaps.
Effectivement, presque la
moitié des jeunes de l’IME ne marchent pas, presque aucun ne parle, certains ne
voient pas bien ou n’entendent pas bien et la plupart ne comprennent pas
grand-chose ! De plus, ils sont polyhandicapés, ce qui veut dire qu’ils
cumulent les handicaps.
Pourtant, ils sont bien là,
bien vivants malgré leur manques et nous expriment des émotions, des ressentis.
Leur mode de communication
est plus archaïque, il est rudimentaire mais il est dépouillé de tous nos
subterfuges à la vraie relation humaine.
C’est sûr, ils n’ont pas 1500
amis sur « face Book » qu’ils
n’ont jamais rencontrés et qu’ils ne rencontreront jamais (vous non plus
d’ailleurs).
Qui est réellement le plus anormal des deux ?
Mais la rencontre, si on se
donne la peine de la rechercher, elle est authentique.
Ce qui est le plus difficile
à dépasser, c’est le regard qu’on porte
sur l’Autre, très différent de soi-même, sur nos représentations de
l’être humain idéal (mode, publicités,
corps parfaits…).
Malgré la bonne volonté,
l’ouverture d’esprit, la tolérance, pourquoi cette confrontation face au handicap,
reste difficile ? Cela y compris pour des futurs professionnels ayant
choisis ce métier de l’accompagnement et qui se trouve eux aussi déconcertés.
Il y a aussi la question
d’empathie (La possibilité de s’identifier à quelqu’un, de se mettre à sa
place) et de la souffrance. Qu’est-ce-que
cela nous renvoie comme douleur, comme impossibilité ? « Et si
c’était moi » !
Il n’y a pas de recette, mais
c’est au travers de la parole, de la
verbalisation, de ces échanges, débats, rencontres, que nous pourrons, tous
ensemble, faire bouger les lignes. Cela nécessite d’accepter de changer nos repères,
nos modes de communication et d’essayer de partir, sans à priori à la rencontre
de l’Autre.
« L’humanisation se
réalise à travers le respect de l’anormal. »
Pour finir avec une petite
touche d’humour, même si elle est un peu grinçante.
Voici un extrait d’un livre,
écrit par le papa de 2 enfants handicapés : « Où on va papa ? ».
« Si vous étiez comme
les autres, je vous aurais conduits au musée. On aurait regardé ensemble les
tableaux de Rembrandt, Monet, Turner et encore Rembrandt… .
Si vous étiez comme les autres,
je vous aurais offert des disques de musique classique, on aurait écouté
ensemble d’abord Mozart, puis Beethoven, puis Bach et encore Mozart.
Si vous étiez comme les
autres, je vous aurais offert plein de livres de Prévert, Marcel Aymé, Queneau,
Ionesco et encore Prévert.
Si vous étiez comme les
autres je vous aurais emmené au cinéma, on aurait vu ensemble les vieux films
de Chaplin, Eisenstein, Hitchcock, Bunuel et encore Chaplin.
Si vous étiez comme les
autres, on aurait fait encore des matchs de tennis, de basket et de
volley-ball.
Si vous étiez comme les
autres, je vous aurais offert des fringues à la mode pour que vous soyez les
plus beaux.
Si vous étiez comme les
autres, je vous aurais conduit au bal avec vos fiancées dans ma vieille voiture
décapotable.
Si vous étiez comme les
autres, je vous aurais donné en douce des petits « biffetons » pour
faire des cadeaux à vos fiancées.
Si vous étiez comme les
autres, on aurait fait une grande fête pour votre mariage.
Si vous étiez comme les
autres, j’aurais eu des petits enfants.
Si vous étiez comme les
autres, j’aurais peut-être eu moins peur de l’avenir.
Mais si vous aviez été comme
les autres, vous auriez été comme tout le monde.
Peut-être que vous n’auriez
rien foutu en classe.
Vous seriez devenus
délinquants.
Vous auriez bricolé le pot
d’échappement de votre scooter pour faire plus de bruit.
Vous auriez été chômeurs.
Vous auriez aimé Jean-Michel
Jarre.
Vous seriez mariés avec une
conne.
Vous auriez divorcé.
Et peut-être que vous auriez
eu des enfants handicapés.
On l’a échappé belle. »
« Je pense à une époque
où on voulait castrer les enfants handicapés. Que la bonne société se rassure,
mes enfants ne vont pas se reproduire. Je n’aurai pas de petits enfants, je
n’irai pas me promener avec une petite main qui gigotera dans ma vieille main,
personne ne me demandera où le soleil s’en va lorsqu’il se couche, personne ne
m’appellera grand-père, sauf les gens cons en voiture derrière moi parce que je
ne roule pas assez vite. La lignée va s’arrêter, on va en rester là et c’est
mieux comme ça.
Les parents ne doivent faire
que des enfants normaux, ils auront tous le premier prix ex aequo au concours
du plus beau bébé et, plus tard, le premier prix au concours général. L’enfant
anormal doit être interdit.
Pour mes petits oiseaux, le
problème ne se pose pas, on n’a pas à s’inquiéter. Ils ne feront pas beaucoup
de dégâts avec leur petit zizi minuscule
comme un bigorneau. »
Jean-Louis Fournier « Où
on va papa ? Livre de poche Prix
Femina 2008.
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1 commentaire:
Une vrai leçon de tolérance qui remet les pendules à l' heure. Merci.
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